Sarkozy et la justice, le risque de trumpisation du débat public

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Maudire ses juges après une condamnation est une tentation de tout être humain. Nicolas Sarkozy n’y a pas échappé en fustigeant la « haine » que lui porteraient les magistrats du tribunal judiciaire de Paris qui, jeudi 25 septembre, l’ont condamné à cinq ans de prison avec mandat de dépôt à effet différé, dans l’affaire des financements de sa campagne pour l’élection présidentielle de 2007. Beaumarchais l’a pourtant fait dire au comte Almaviva, dans Le Barbier de Séville : pareil emportement ne doit durer « que vingt-quatre heures ». L’ancien président de la République, en fustigeant, dimanche 28 septembre, des « pratiques si contraires à l’Etat de droit » et en déclarant « la France » humiliée par le jugement, a dépassé le délai.

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Maudire ses juges est une chose, maudire la justice et la jeter en pâture à ses concitoyens en est une autre. Prétendre embarquer le pays dans une croisade contre une institution dont le respect est un fondement de la paix civile constitue une démarche irresponsable. Les menaces de mort visant la présidente du tribunal qui a rendu le jugement sont non seulement « inadmissibles », comme l’a déclaré un peu tardivement le président de la République, mais inquiétantes.

Des Etats-Unis à Israël en passant par la Hongrie, on voit bien à quelles dégradations de la démocratie peuvent conduire le mépris de la justice et l’immixtion du politique dans la sphère judiciaire. La manière dont Donald Trump instrumentalise la justice et utilise ses pouvoirs de nomination pour saper les mécanismes démocratiques, faire taire ses opposants et favoriser ses intérêts est un avertissement que Nicolas Sarkozy n’a nulle envie d’entendre. Sa réaction nourrit une funeste trumpisation du débat français. Or le principe de la séparation des pouvoirs n’est pas une curiosité historique. Son fondement, l’idée qu’un pouvoir non limité par un autre devient dangereux, est brûlant d’actualité.

Des justiciables comme les autres

D’autant que les lois qui ont qualifié pénalement les agissements de l’ancien président français, et prévoient la peine qui lui a été infligée, y compris le mandat de dépôt, ont été votées par les parlementaires sous la pression d’une opinion publique de moins en moins tolérante non seulement à l’encontre des délinquants classiques, mais envers les atteintes à l’intégrité commises par certains responsables politiques.

L’ancien président français Nicolas Sarkozy et son épouse, Carla Bruni, lors de leur arrivée au tribunal de Paris, le 25 septembre 2025.

Si les scandales politico-financiers n’échappent plus aujourd’hui, en principe, à la justice, c’est le fruit d’une lente conquête par les magistrats de leur indépendance à l’égard du politique. Des dossiers ont d’abord visé la gauche au pouvoir, menant à la retentissante perquisition au siège du Parti socialiste en 1992 par Renaud Van Ruymbeke. Puis la droite a aussi été mise en cause. La construction de cet indispensable contre-pouvoir, marquée en 2013 par la création du Parquet national financier, représente un progrès pour la démocratie et l’égalité devant la loi : les politiques sont des justiciables comme les autres.

Certes, la perspective de la première incarcération d’un ancien président de la République sonne comme un coup de tonnerre dans le monde politique. Mais la promotion de lois de fermeté ne peut valoir uniquement lorsqu’elles s’appliquent à d’autres que soi-même ou ceux de son camp. Les atteintes à l’intégrité politique – en l’occurrence un projet de corruption avec un dictateur responsable d’un attentat terroriste antifrançais – constituent une grave forme d’insécurité pour le pacte social. Non les décisions de justice qui les condamnent.

Le Monde

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