« Sans colère, il n’y a jamais eu de progrès social »

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En cette période propice aux mouvements sociaux, beaucoup redoutent l’embrasement. Comme souvent, les responsables politiques et certains commentateurs cherchent à disqualifier la colère : elle serait irrationnelle, dangereuse, archaïque. Mauvaise par nature. Mais ce procès permanent en illégitimité occulte une vérité fondamentale : sans colère, il n’y a jamais eu de progrès social.

Certes, la colère peut effrayer. Mais elle n’est pas la violence. Ne confondons jamais. La première est une émotion, la seconde un passage à l’acte. Confondre les deux, c’est déconsidérer par avance le message qu’elle porte. La colère est une émotion profondément démocratique, il suffit de se rappeler le sort que réservent les dictatures aux mouvements contestataires pour s’en convaincre. En démocratie, la colère est un indicateur, un signal d’alarme. Elle retentit lorsqu’une limite a été franchie, qu’un seuil d’injustice a été atteint. Elle est la sentinelle des déséquilibres sociaux. Refuser de la considérer, c’est nier le principe même de la démocratie, qui consiste à permettre aux citoyens d’exprimer leur mécontentement et de le traduire en action politique.

Aujourd’hui pourtant, les injustices s’accumulent : crise écologique et sociale, dégradation des services publics, accroissement des inégalités. Parallèlement, la foi dans l’avenir et la natalité s’effrite considérablement. Tout concourt à nourrir des colères que le pouvoir s’obstine à traiter comme des débordements ou des caprices, à coups d’anathèmes ou de balles de défense. Pourtant, on n’éteint pas une maison qui brûle en y jetant de l’essence. Réprimer, criminaliser, délégitimer ne fait que renforcer la colère, la durcir, la radicaliser.

Aveuglement des élites

Le paradoxe est là : ce qui menace nos démocraties, ce n’est pas l’excès de colère du peuple, mais l’aveuglement des élites devant des injustices que la population, dans sa majorité, commence à trouver intolérables. Continuer comme si de rien n’était face à l’effondrement écologique et aux injustices sociales et fiscales, voilà la véritable irrationalité. La colère n’est pas le problème ; elle est au contraire la condition d’un sursaut collectif. Les grandes avancées sociales et politiques n’ont jamais surgi, comme par magie, de l’apathie, mais toujours de colères collectives transformées en force d’action.

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