Robert Badinter, l’abolition de la peine de mort ou le combat d’une vie

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Le vieux monsieur sort avec précaution une liasse de papiers jaunis, chacun précieusement enchâssé dans une pochette de plastique. Ce sont ses souvenirs de la ­Révolution. Robert Badinter a ­tellement fréquenté les philosophes des Lumières qu’il donne toujours un peu l’impression d’avoir siégé à la Convention, quand il n’était pas encore au Sénat, et d’avoir longuement devisé avec Condorcet et Fabre d’Églantine dans les allées du jardin du Luxembourg. Ce sont des ombres familières, qu’il caresse avec douceur.

« Là, c’est le décret d’arrestation de Condorcet, du Comité de sûreté générale, le 8 juillet 1793, que j’ai trouvé par bonheur. Ici, un de ses discours, de 1791, magnifique. Tout cela est très précieux. »

Robert Badinter dans son appartement à Paris, en septembre 2016.

L’ancien garde des sceaux a aujourd’hui 88 ans, haute et mince ­silhouette à l’oreille un peu dure, la voix un peu moins ferme, mais la pensée toujours tranchante, et le rire facile. L’abolition de la peine de mort, avec la loi du 9 octobre 1981, fête aujourd’hui ses 35 ans et c’est, pour Robert Badinter, le combat d’une vie. Il l’a raconté dans deux livres, forts et poignants, L’Exécution (Fayard), en 1973, puis L’Abolition (Fayard), en 2000, et construit depuis patiemment sa ­statue, de discours en colloque, et un peu partout en Europe.

« L’avocat des assassins »

Robert Badinter parle volontiers, mais presque seulement de l’abolition de la peine de mort. C’est la condition d’un entretien, la trace qu’il entend laisser dans l’Histoire, et d’ailleurs une lutte inépuisable : quand près de deux tiers des Etats ont aboli, en théorie ou en pratique, la peine capitale, selon Amnesty international, 58 résistent encore.

« Et rien, je dis bien rien, ne se compare à ce que j’ai connu dans une cour d’assises de province, avec tous ces gens hurlant de haine, hurlant à mort »
Robert Badinter

Le commandeur agace un peu, à gauche. Aucun garde des sceaux ne se risquerait à l’avouer – il est au contraire indispensable d’obtenir l’onction du grand homme quand on débarque Place Vendôme. Il la donne volontiers et se fait un devoir de ne dire du mal en public ­d’aucun de ses successeurs. Y compris des plus ternes, qui ne font d’ailleurs que ressortir sa stature – lui qui a probablement été, dans les premières années du septennat de François Mitterrand, l’un des ministres les plus détestés, l’incarnation du supposé laxisme de la gauche, « l’avocat des assassins ».

C’est qu’il a défendu et sauvé six condamnés à mort, les uns après les autres. « Ce seront mes témoins lorsque je comparaîtrai devant le Seigneur. Je suis un modeste pécheur, comme tout le monde, sourit l’ancien ministre, mais, moi, j’ai des témoins à décharge, certes pour la plupart des assassins. Et rien, je dis bien rien, ne se compare à ce que j’ai connu dans une cour d’assises de province, avec tous ces gens hurlant de haine, hurlant à mort. Il n’y avait qu’une seule porte ouverte dans le palais. Il fallait traverser la foule, et je vous assure qu’ils me regardaient sans tendresse. »

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