La renaissance d’un phénix de pierre, en présence d’un phénix de chair et d’un chef de l’Etat célébrant le génie d’une nation de bâtisseurs pourtant dans la tourmente. C’est l’une des images que la presse et les médias étrangers ont retenue de la fastueuse cérémonie de réouverture de Notre-Dame de Paris, samedi 7 décembre.
Si tous, à l’instar du Wall Street Journal, saluent le « miracle » de sa restauration et la prouesse des 2 000 artisans qui lui ont rendu son lustre bientôt millénaire dans les délais « impossibles » fixés par Emmanuel Macron, certains titres se sont émus du « coup diplomatique » réalisé par ce dernier en invitant Donald Trump dans la cathédrale rénovée, au risque de la désacraliser.
Beaucoup soulignent, en outre, le contraste entre la magnificence retrouvée de l’édifice, plus étincelant que jamais, et les sombres perspectives qui attendent le locataire de l’Elysée, comme bon nombre de ses pairs, au premier rang desquels l’Ukrainien Volodymyr Zelensky, peut-être du fait même du retour aux affaires du magnat new-yorkais.
La longue restauration… du statut de Donald Trump
Tout juste revenu du purgatoire où l’avait plongé la mise à sac du Capitole, le 6 janvier 2020, et fraîchement affranchi des poursuites fédérales, le bientôt 47e président des Etats-Unis a donc symboliquement accompli, samedi, à Paris, le premier de ses déplacements à l’étranger depuis son élection rédemptrice. Devenu infréquentable il y a près de cinq ans, le voilà désormais plus courtisé que jamais, et la restauration de son statut « a globalement pris autant de temps que celle de la cathédrale », ironise l’Economic Times indien, citant Heather Conley, membre du conseil d’administration du German Marshall Fund, think tank qui promeut les liens entre les Etats-Unis et l’Europe.
« Le président élu est retourné à Paris samedi, non plus comme une cible de moqueries, mais en tant qu’invité d’honneur de la réouverture de la cathédrale dont les gardiens s’amusaient autrefois à ses dépens », observe sur le même ton le Washington Post. Le quotidien rappelle au passage que, lors de l’incendie qui a dévasté l’édifice, le 15 avril 2019, le locataire de la Maison Blanche avait suggéré qu’on y envoie des Canadair, ce qui lui avait valu les sarcasmes à peine voilés et en anglais, de la sécurité civile.
« Si tout se passe comme prévu, il voudra probablement l’acheter pour en faire un casino », prédisait, quelques jours plus tôt, l’humoriste Jimmy Kimmel, alors que son collègue Jimmy Fallon craignait que la cathédrale ne « reprenne feu » à son arrivée, comme le rappelait CNN. Sans la moindre ironie, le magazine allemand Der Spiegel jugeait, lui, avant même la cérémonie, que « l’histoire ne se souviendra[it] pas du président français comme de l’homme qui a fait renaître Notre-Dame de ses cendres, mais comme de celui qui a invité l’Américain qui met la démocratie à feu et à sang. »
Sa présence traduit, selon la chaîne américaine CBS News, « l’empressement de M. Macron et d’autres dirigeants européens à gagner [ses] faveurs et à l’apaiser avant même qu’il ne prenne ses fonctions. » Ce « retour remarqué » sur le devant de scène internationale « ressemblait davantage à une scène de campagne », juge, quant à lui, le New York Times, sans bouder le plaisir de comparer la discrétion des applaudissements qui ont salué son arrivée à l’ovation suscitée par celle du chef de l’Etat ukrainien.
« Splendeurs et misère »
En les réunissant, un peu plus tôt à l’Elysée, Emmanuel Macron espérait « reprendre le contrôle de la politique étrangère après avoir complètement perdu celui de la politique intérieure », analyse le site d’information allemand Welt. Or, « aux yeux de Trump, [le chef de l’Etat] n’est plus que le président impopulaire d’un pays ingouvernable, sur un continent à la dérive », tranche sans pitié le journal autrichien Die Presse, évoquant, comme son confrère luxembourgeois Le Quotidien, la criante dissonance entre la « blondeur éclatante » des murs de Notre-Dame et l’état des services publics, comme de l’exécutif.
« L’éducation nationale manque de professeurs, l’hôpital public, de soignants et de lits, les Français, d’un vrai gouvernement, mais Notre-Dame renaît de ses cendres, tel le phénix. Allez, ne soyons pas aigris, voyons le verre à moitié plein, plutôt que vide », nuance-t-il, refusant le fatalisme que d’autres s’autorisent. « Demain, les lumières s’éteindront, Notre-Dame reprendra le cours de sa vie (…) », avertissait, dimanche, La Stampa italienne, sous le titre « Splendeurs et misères, Paris rayonne à nouveau, mais le cauchemar de la crise demeure ». « Les caméras se tourneront vers l’Elysée, pour filmer la recherche effrénée d’un nouveau premier ministre et d’un gouvernement à même de durer, poursuit la chroniqueuse Francesca Schianchi. Les journalistes reviendront pourchasser Marine Le Pen et sa menace d’une nouvelle motion de censure, ou Jean-Luc Mélenchon, qui refuse avec dédain l’invitation aux consultations du président et souhaiterait d’ailleurs sa démission aussi rapide que possible ».
Emmanuel Macron a voulu faire de cette cérémonie « un symbole de sa capacité (…) à se reconstruire, écrit, d’une dent encore plus dure, l’espagnol El Pais. Or, cette prestation, en ce qui concerne sa propre stature politique, ressemble davantage à un requiem ».