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En signant un décret, le 3 février, pour relancer le concours de chansons Intervidiénié (« Intervision »), Vladimir Poutine s’affirme une fois de plus en rupture face à « l’Occident collectif » qu’il dénonce sans relâche. Recréé afin de remédier à l’exclusion de la Russie de l’Eurovision, en 2022, Intervision, annoncé pour l’automne, a tout d’un combat proprement politique pour le Kremlin : le comité d’organisation a été confié au vice-premier ministre, Dmitri Tchernychenko, et son conseil de surveillance est chapeauté par le chef d’état-major adjoint de l’administration présidentielle russe, Sergueï Kirienko.
Dès la victoire de Conchita Wurst [drag queen autrichienne] à l’Eurovision 2014, les autorités russes avaient fait de ce concours de chansons européen un thème clivant : il était, selon elles, le symptôme de la décadence de l’Occident sous l’influence des activistes de la cause LGBTQ+.
Le décret présidentiel Intervision est beaucoup moins anecdotique qu’il n’y paraît : il met en lumière les transformations structurelles de la puissance russe engagées depuis la crise économique de 2008, entérinées face aux premières sanctions européennes contre elle en 2014 (en réaction à l’annexion de la Crimée et à la guerre dans le Donbass) et qui se sont accélérées depuis son invasion de l’Ukraine en 2022. Partenaire de l’OTAN, du G7 et de l’Union européenne durant les décennies 1990 et 2000, admise au Fonds monétaire international, à la Banque mondiale et à l’Organisation mondiale du commerce, la Russie prend désormais de manière assumée le contre-pied des organisations occidentales dans la plupart des domaines.
« Dés-américaniser » les institutions
Comme rappelé lors de conférences de presse – le 19 décembre 2024 par le président russe, puis le 17 janvier par son ministre des affaires étrangères, Sergueï Lavrov –, la Russie vise la « désotanisation » de l’Europe orientale, y compris par la guerre ; elle veut « dédollariser » les échanges économiques en promouvant le troc, le yuan et même l’euro ; elle exige la « désaméricanisation » des institutions issues de la seconde guerre mondiale en réclamant une réforme de l’ONU, etc. Dans tous ces domaines, contrainte par les sanctions et intoxiquée par sa propre vision obsidionale, la Russie veut s’affirmer comme puissance alternative, contre les Etats-Unis mais aussi aux côtés de (et en rivalité avec) la République populaire de Chine.
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