LETTRE DE ZURICH
Gênante, la scène date du 13 juillet 2017. Alors conseillère fédérale (ministre) et présidente de la Confédération, Doris Leuthard est en voyage au Bénin. A Ouidah, une cité connue pour son rôle dans la traite des esclaves, elle fait halte à la Porte du non-retour, un mémorial face à l’océan Atlantique. Et dit ceci : « Cette partie de l’histoire du Bénin est une tragédie. (…) Je suis contente que la Suisse n’ait jamais participé ni à ces histoires d’esclavage, ni à la colonisation. »
Sept ans plus tard, à Zurich, le Musée national suisse consacre une exposition majeure et édifiante à « ces histoires d’esclavage et de colonisation », à travers le prisme de la participation helvétique durant quatre siècles, colmatant ainsi des années d’amnésie et de déni. Sobre et précise, superbement documentée, l’exposition présente onze « champs d’action » et des études de cas individuels.
Dès le XVIe siècle, entrepreneurs et maisons de commerce, les ancêtres des tradeurs de matières premières toujours établis en Suisse, réalisent de juteuses affaires dans les colonies européennes en Afrique, en Asie et dans les Amériques, avec l’import-export de denrées alimentaires (sucre, café, cacao, tabac) ou textiles (coton, tissus imprimés indiens). La Société missionnaire de Bâle, ou encore la famille Volkart dans la ville industrielle de Winterthour, longtemps renommée pour ses filatures, installent des antennes dans les zones occupées par les grandes puissances, devenant ainsi les auxiliaires de cette mondialisation initiale. Les banques suisses fournissent les capitaux pour développer le réseau.
« Des complices »
Environ 250 entreprises et particuliers, ainsi que certaines communautés, étaient impliqués dans la traite transatlantique des esclaves. Des estimations montrent qu’ils ont participé à la déportation d’environ 172 000 personnes, sur un total de 12 millions réduits en esclavage en Afrique. En 1864 encore, le Conseil fédéral de Berne écrivait que l’esclavage était « un acte qui n’implique pas un crime ».
« Pas impliquée, la Suisse ? Les universités de Genève et Zurich ont longtemps abrité des instituts d’anthropologie, parmi les plus suivis en Europe, où les thèses racialistes sur la supériorité intrinsèque de l’homme blanc étaient en vogue, rappelle la directrice du Musée national suisse, Denise Tonella. Depuis le tournant Black Lives Matter, de nombreuses recherches ont permis de démonter les mécanismes de la participation helvétique à l’impérialisme occidental et à cette histoire mondiale de la violence, sous l’angle d’un colonialisme sans colonies. La perspective sur notre propre histoire s’est élargie, avec un regard critique. »
Il vous reste 52.03% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.