Pourquoi les mères sont absentes des photos de famille

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Portrait de famille (raté) des Simpons, lors d’une tentative d’Homer, dans la mini-série « Simpons shorts » (1988), qui a précédé « Les Simpsons ».

Pendant les vacances de la Toussaint, ma fille, Junior (surnom que j’affectionne depuis l’épisode 2 de cette chronique), a passé de longs moments à regarder nos albums photo, dont le dernier, celui des vacances d’été. Sur nos clichés, Junior est partout. Avec elle posent les grands-parents, des cousins, des oncles, des tantes, ou encore des amis. Et, surtout, Junior pose avec… moi, son papa. « Tu as l’air d’avoir passé de belles vacances avec ta fille », ironise sa mère, mon épouse.

Pourquoi les mères sont-elles les grandes absentes des photos de famille ? Même dans la fiction, elles semblent s’effacer devant leur conjoint et leurs enfants. Marge Simpson n’échappe pas à la règle. « Regarde nos photos de vacances », dit-elle à Homer dans l’épisode 13 de la saison 16. Sur les clichés, Homer est omniprésent, mais nulle trace de Marge !

La réponse est très simple : « Au quotidien, ce sont les femmes qui font les photos », constate la sociologue Irène Jonas, autrice d’une étude sur la photographie familiale publiée en 2010. Les lecteurs assidus de cette chronique irrégulière auront compris que ma femme, J., et moi-même, sommes sensibles au féminisme. Mais, pour les photos, nous n’avions même pas envisagé que le patriarcat puisse s’insinuer entre nous. Tout simplement parce que J. et moi sommes photographes de formation. Elle a poursuivi sur cette voie, tandis que les circonvolutions de mon parcours professionnel m’ont amené à proposer cette histoire à votre sagacité.

D’une banalité confondante

Nous aimons tous les deux la photographie et, jusqu’à la naissance de Junior, c’était plutôt moi qui prenais l’appareil quand nous partions en voyage. Sans trop que nous ne nous en rendions compte, les rôles se sont inversés. Une réalité d’une banalité confondante.

En 2022, la blogueuse Laura Vallet avait tenté de recenser ses apparitions dans l’album familial. « Sur 450 [images], je suis sur 10 % des photos, la moitié [de celles-ci] sont des selfies et il y a une seule photo où je suis sans mes mômes », avait-elle constaté sur X. « Mères de famille : on vous prend en photo, vous ? », demandait-elle alors, toujours sur X, récoltant de nombreux témoignages similaires au sien. Cette année, début août, c’est Louise Chabat, comédienne, « thérapeute et coach » selon sa bio Instagram, qui s’exclamait dans un post : « A tous les papas, prenez-nous en photo avec nos enfants ! »

Une des causes de cette inégale répartition des rôles est à chercher du côté de l’histoire de la photographie elle-même, dans ses évolutions technologiques et dans ses usages. « Jusqu’au tournant des années 1970, les hommes faisaient aussi des photos de famille », précise Irène Jonas. La sociologue ajoute que c’est l’arrivée d’appareils photo automatisés, comme l’Instamatic de Kodak, qui a contribué à mettre les femmes derrière l’objectif. Le marché visé par la gamme du fabricant américain est clairement celui des mères de famille. Une publicité de Kodak des années 1960 laisse peu de place au doute quant au public cible : on y voit une mère profiter de la sieste de son époux pour lui subtiliser l’appareil et capter l’après-midi de jeux qu’elle partage avec sa progéniture.

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