Son influence, réelle ou fantasmée, n’a d’égale que sa discrétion. Une fois n’est pas coutume, Hadia Nadiany Bamba – « Nady pour les intimes », glisse-t-elle – a réuni vendredi 7 octobre au cabinet de Laurent Gbagbo, à Abidjan, des familles de détenus politiques, militaires et civils arrêtés depuis 2011 pour leur soutien à l’ancien président. Elle a offert des kits de rentrée scolaire à leurs enfants.
Le gratin du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) était présent et la scène a donné lieu à la publication d’une ribambelle d’images montrant la photogénique bienfaitrice dans sa robe vert et bleu. Rien d’inhabituel, si ce n’est que Nady Bamba n’a aucun rôle politique officiel au sein du PPA-CI. « Elle est l’épouse du président du parti, pas plus », souligne son porte-parole, Justin Koné Katinan.
Les partisans de Laurent Gbagbo l’ont surnommée depuis longtemps la « petite maman ». Car pendant les dix années passées à la tête de la Côte d’Ivoire, le président avait deux femmes à ses côtés. Simone Gbagbo, la première dame, compagne de lutte des années de syndicalisme et de manifestations, poids lourd de son parti d’alors, le Front populaire ivoirien (FPI), son épouse à l’état civil depuis 1989, dont il ne partage plus la chambre. Et Nady Bamba, l’épouse de l’ombre.
Laurent Gbagbo, alors opposant du président Félix Houphouët-Boigny, a fait sa connaissance au début des années 1990 au cours d’un voyage en France. La jeune femme, de vingt-neuf ans sa cadette, est originaire de Touba (nord-ouest). Journaliste diplômée de l’Ecole française des attachés de presse, elle travaillera ensuite comme correspondante de la radio Africa N° 1 à Abidjan.
Séducteur impénitent
Son idylle avec Laurent Gbagbo est révélée après le coup d’Etat de 1999. Nady Bamba vit alors aux « 220 Logements », un quartier fameux de la commune d’Adjamé, construit pour la classe moyenne qui émerge après l’indépendance, et où Laurent Gbagbo est souvent aperçu. Le « woody » (« garçon vaillant », en langue bété) traîne alors une réputation de séducteur impénitent et Nady Bamba n’attire pas l’attention.
Mais cette fois, l’affaire est plus sérieuse. Depuis plus de vingt ans, « Laurent aime Nady comme un adolescent, il est fou d’elle », affirme un intime du couple. En sa qualité de journaliste politique, elle couvre la campagne présidentielle et l’élection de 2000, remportée par Laurent Gbagbo face au président sortant, le général Robert Gueï. Dès la première année de son mandat, il l’épouse selon les rites coutumiers malinké et le couple donne naissance à un fils, David Al Raïs, en juillet 2002, deux mois avant qu’éclate la rébellion.
En 2003, à la tête du groupe de communication Cyclone, Nady Bamba fonde un quotidien pro-FPI, Le Temps, qui compte encore aujourd’hui parmi les principaux journaux d’opposition. Peu d’informations ont filtré sur son rôle politique pendant les années de Laurent Gbagbo au pouvoir. Tout juste sait-on qu’après l’accord de Ouagadougou, en 2007, et jusqu’à sa chute, en 2011, elle fut parmi les émissaires privilégiés du chef de l’Etat dans le nord du pays, où elle tentera en vain de mobiliser les électeurs en sa faveur pour l’élection de 2010.
Le 11 avril 2011, Simone Gbagbo est arrêtée en même temps que son mari. Elle est placée en résidence surveillée à Odienné (nord-ouest), lui est incarcéré à Korhogo (nord) avant d’être transféré à La Haye, aux Pays-Bas, pour être jugé par la Cour pénale internationale (CPI). La « petite maman », elle, doit prendre le chemin de l’exil, vers la Guinée équatoriale d’abord, puis le Ghana. L’Union européenne (UE) la sanctionne alors pour « obstruction au processus de paix et de réconciliation par l’incitation publique à la haine et à la violence et par la participation à des campagnes de désinformation en rapport avec l’élection présidentielle de 2010 ». Elle est privée de visa et ses avoirs sont gelés.
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Mais en juin 2011, la Cour de justice de l’UE lève ces sanctions, jugeant les accusations trop vagues. Nady Bamba et son fils s’envolent pour l’Europe afin de se rapprocher de Laurent Gbagbo. Alors qu’il est emprisonné à La Haye, eux s’installent à Bruxelles. Ils lui rendent visite au pénitencier de Scheveningen tous les week-ends, jusqu’à son acquittement par la CPI, en février 2019, après lequel il les rejoint en Belgique.
Première dame du PPA-CI
La scène de leur retour sur le sol ivoirien, le 17 juin 2021 après dix ans d’absence, est abondamment médiatisée et décortiquée. Quand, dans l’enceinte de l’aéroport d’Abidjan, Simone Gbagbo tente de s’approcher de celui qui est encore son mari, elle est repoussée sans ménagement – à moins que, comme d’autres interprètent la scène, l’ancien président n’ait simplement voulu l’écarter des gaz lacrymogènes et du chaos ambiant.
Toujours est-il que quelques jours plus tard, il revient à la foi catholique, une manière de signifier sa rupture avec les évangélistes comme Simone, et demande le divorce. Tous deux quittent le FPI pour créer chacun son propre parti : le PPA-CI pour lui, le Mouvement des générations capables (MGC) pour elle. Le divorce est prononcé le 29 juin 2023 et Nady Bamba occupe désormais la position de première dame du PPA-CI.
Certains proches de l’ancien président ne digèrent pas sa nouvelle situation matrimoniale et, surtout, le rôle que jouerait Nady Bamba. Ils l’accusent notamment de maintenir un cordon autour de son mari, filtrant les appels et les demandes de visite. Laurent Gbagbo se serait toujours refusé à faire l’acquisition d’un téléphone portable. Pour le joindre, tout interlocuteur doit donc passer, sans différence de traitement, par sa ligne fixe professionnelle, donc son secrétariat, ou par sa ligne fixe personnelle, donc Nady Bamba, avec qui il habite.
« Du fantasme, tranche un ami de la famille Gbagbo. Penser que Laurent est du genre à se faire mener à la baguette par sa femme, c’est bien mal le connaître. » « Ces rumeurs prêtent à Nady Bamba plus de pouvoir qu’elle n’en a réellement », confirme un cadre du PPA-CI, qui y voit l’œuvre d’anciens proches des années 2000 déçus de ne pas retrouver la dynamique courtisane qu’entretenait le couple Gbagbo avec son cercle. « La CPI l’a reproché à Laurent Gbagbo, rappelle ce cadre, car cela venait nourrir les accusations d’entretenir une milice personnelle. Il a su en tenir compte à son retour. »
L’opposant sépare désormais sa vie professionnelle de sa vie privée. Ses ambitions pour la présidentielle de 2025 ne sont pas encore connues, mais il est déjà certain qu’il pourra compter sur sa précieuse et discrète « petite maman ».