Longtemps marginalisé, le droit de l’environnement passionne une jeunesse engagée

2755


Une vieille tabatière trône sur le bureau du professeur, bien en vue sur l’estrade. « Vous pouvez y glisser vos remarques. Je m’engage à les lire ensuite, en amphithéâtre. Y compris quand j’en prends pour mon grade. Le tout premier mot que j’ai lu, lorsque j’ai mis en place cette routine, était le suivant : “Qu’est-ce que ça fait de ressembler à Tchoupi ?”, raconte Laurent Fonbaustier, face à une centaine d’étudiants médusés.

A travers sa petite boîte à tabac, le codirecteur du master Droit de l’environnement de la faculté Jean-Monnet, à l’université Paris-Saclay, invite la nouvelle promotion à prendre la parole, et à faire preuve d’esprit critique. Ce passionné de pêche, qui passe chaque année une semaine seul dans la nature, où il se nourrit de poissons et de champignons sauvages, détonne dans le milieu feutré du droit.

Ses cours également. Le jour même de leur rentrée, début septembre, ses étudiants sont invités à remettre en question la discipline sur laquelle ils ont jeté leur dévolu. « Le droit de l’environnement n’est pas écologique. Comment expliquez-vous que nous ayons franchi six limites planétaires [parmi lesquelles le changement climatique et le changement d’usage des sols, par exemple], alors que le droit de l’environnement existe depuis cinquante ans ? », interroge le professeur des universités, qui incite ses étudiants à penser hors des cadres.

« Si je vous demande ce que vous pensez des climatosceptiques, ou des OGM, vous aurez tous la même réponse. Mais qui a lu Claude Allègre ? Qui sait vraiment ce qu’est un OGM ? », provoque-t-il. « Le droit de l’environnement est complexe, il se mêle souvent à d’autres disciplines, comme le droit de l’urbanisme, des affaires ou encore des collectivités territoriales. Il faut abandonner les positions manichéennes, avoir un champ de vue élargi », explique Emmanuelle Nef, chargée de TD.

Désobéissance civile

Le public est conquis. « Déconstruire le droit de l’environnement nous permet de comprendre pourquoi il est si souvent à la peine. Le cours est riche en références sociologiques, philosophiques et anthropologiques. C’est assez unique. Les gens qui choisissent ce master sont différents, aussi », commente Zoé Hornecker, 21 ans, inscrite en M1 Droit de l’environnement. Laurent Fonbaustier confirme : « Dans un milieu ontologiquement conservateur, nos étudiants bousculent les codes, un peu comme les hétérodoxes en économie. »

Les profils des étudiants sont variés. Le master, réputé pour son ouverture sur le monde scientifique grâce à son imbrication dans l’écosystème de Paris-Saclay, accueille des ingénieurs, des diplômés de Sciences Po, et évidemment des jeunes issus d’une licence de droit, poursuit M. Fonbaustier : « Des publicistes essentiellement, mais aussi des privatistes repentis, spécialistes de l’optimisation fiscale, de la fusion-acquisition, qui soudain se réveillent. Les uns sont friands d’informations sur la désobéissance civile, veulent savoir si on peut dégonfler un pneu [pour dénoncer l’élite de pollueurs], et comment se protéger judiciairement dans le cadre d’actions de sabotage, façon Andreas Malm [maître de conférences en géographie humaine en Suède et militant pour le climat, auteur de Comment saboter un pipeline (La Fabrique, 2020)]. Les autres souhaitent plutôt changer le système de l’intérieur. Les débats sont nombreux, c’est très enrichissant. »

Il vous reste 68.16% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.



Source link