Des poupées écartelées, décapitées, désarticulées, prisonnières dans des cages en bois ou emballées dans des sacs fermés, des visages aux yeux vides dont la violence tranche avec la douceur des couleurs… Ces tableaux, Monique Gies les a peints entre 1977 et 1978, l’année où elle a claqué la porte du domicile conjugal en laissant derrière elle un mari et quatre enfants âgés de 11 à 18 ans.
Elevée en Alsace dans un milieu catholique très conformiste, cette directrice d’école maternelle a 43 ans quand elle abandonne du jour au lendemain le confort bourgeois d’une vie corsetée par le respect des conventions pour une chambre de 9 mètres carrés à Paris. « C’était la fuite ou l’asile », affirmera-t-elle plus tard. Pendant un an, en même temps qu’elle commence une psychanalyse, elle peint une centaine de petites toiles qu’elle accroche à ses murs, sans que jamais ses enfants, lorsqu’ils lui rendent visite, l’interrogent sur ces poupées démembrées aux jambes écartées, sur ces têtes décapitées qui gisent au sol. Mais que dire à cette mère hors norme, volontiers provocatrice, imprévisible, brutale souvent ?
En février 1979, certaines de ses toiles sont présentées pour la première fois lors de l’exposition de femmes artistes organisée dans les locaux des éditions Stock par la revue féministe Sorcières, créée par l’universitaire et écrivaine Xavière Gauthier et à laquelle Monique Gies participe. Quarante-cinq ans plus tard, du 5 octobre au 2 novembre, ce sont une centaine de tableaux, ceux qu’elle a peints entre 1977 et 1978, qui seront exposés à la galerie Christophe Gaillard, à Paris (3e). Cette fois, Monique Gies n’y assistera pas. Elle est morte à l’aube de ses 88 ans, en mars 2022.
« Et il t’a fait quoi ? »
Quelques mois plus tôt, un dimanche du début de l’année 2021, la famille s’est retrouvée pour déjeuner dans la halle de Ground Control, anciens entrepôts SNCF reconvertis en centre culturel, dans le 12e arrondissement de Paris, où des food trucks font découvrir les cuisines du monde. Autour de la table, on discute alors du livre de Camille Kouchner, La Familia grande, qui vient de paraître au Seuil et dans lequel l’autrice révèle l’inceste perpétré sur son frère par son beau-père, le constitutionnaliste Olivier Duhamel.
Soudain, Monique Gies intervient : « Moi aussi, j’ai été violée quand j’étais petite. » Sa fille, Marie-Christine Frison, styliste, tombe des nues : « C’est la première fois que j’entends ça ! » « Mais, enfin, tout le monde le sait ! », lui rétorque sa mère, sèchement. Habituée aux bravades maternelles autant qu’à son ton péremptoire, sa fille insiste pourtant, demande des précisions. L’octogénaire invoque un inceste dans sa famille maternelle, donne le nom de son agresseur et précise : « Ça m’est revenu en analyse. » « Et il t’a fait quoi ? Il t’a mis le petit doigt dans le nombril ? », ironise l’un des convives. Fin de l’échange. Monique Gies retourne au silence, ses enfants aussi.
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