L’imprévisible revirement de Trump sur la responsabilité de l’Ukraine dans la guerre

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Le président américain, Donald Trump, dans sa résidence de Mar-a-Lago (Floride), le 18 février 2025.

L’Ukraine « n’aurait jamais dû commencer » la guerre contre la Russie, et aurait dû « trouver un arrangement », a déclaré Donald Trump le 18 février, lors d’une conférence de presse depuis sa résidence de Mar-a-Lago (Floride). Le locataire de la Maison Blanche en a profité pour égratigner son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, le qualifiant de « dictateur » et de « comédien au succès modeste » qui a fait un « boulot épouvantable » à la tête de son pays.

Cette mise en cause de Kiev a stupéfié la communauté internationale et notamment ses alliés de l’OTAN, près de trois ans après le début de tentative d’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022. Elle s’est depuis confirmée : selon le Financial Times, les Etats-Unis s’opposent pour la première fois à ce qu’une déclaration commune des pays du G7 qualifie la Russie d’« agresseur ».

Il s’agit d’un revirement spectaculaire pour Donald Trump. Peu intéressé par le conflit, il s’en était longtemps tenu à un discours neutre, qui lui avait surtout servi de levier pour discréditer son rival politique Joe Biden.

Des références à l’Ukraine teintées de politique intérieure

Selon le site Trump Twitter Archive, qui agrège ses publications sur les réseaux sociaux Twitter puis X et Truth Social, il n’a évoqué la guerre en Ukraine qu’à 51 reprises depuis 2022, la plupart du temps pour la ramener à des considérations politiques américaines.

Lorsque la guerre éclate, Donald Trump est en pleine traversée du désert et ressasse sa défaite face à Joe Biden deux ans plus tôt. Dès le 24 février au soir, il regrette au micro de Fox News une « invasion qui ne serait pas arrivée si l’élection [américaine] n’avait pas été volée ». Il ne condamne néanmoins ni l’Ukraine ni la Russie, qui selon lui se serait « satisfaite d’un morceau » de territoire, mais aurait été encouragée à aller plus loin à cause de « l’incompétence et la stupidité » de l’administration Biden.

Ensuite, il blâme, à chaque fois qu’il le peut, Joe Biden, qui n’aurait pas su se faire respecter par Vladimir Poutine. Et quand il ne cible pas le président démocrate, il vise sa vice-présidente Kamala Harris, sa rivale pour l’élection présidentielle. « Elle a été envoyée [en février 2022] pour essayer d’empêcher [la guerre], Poutine a attaqué trois jours après », fustige-t-il en août 2024.

Le logiciel trumpiste est pragmatique. Déjà, avant 2022, quand il parlait d’Ukraine, c’était pour accuser de népotisme Joe Biden, dont le fils Hunter était présent au conseil d’administration d’une société gazière ukrainienne, à l’époque où lui-même était vice-président de Barack Obama.

Une posture pacifiste longtemps éloignée du Kremlin

Coutumier des théories complotistes, qu’elles soient à caractère antivax, climatosceptiques ou encore identitaires, Donald Trump n’avait en revanche jamais repris la propagande russe sur la responsabilité ukrainienne : il n’a ainsi jamais accusé Zelensky de nazisme, ni l’OTAN de développer des armes biologiques en Ukraine, comme l’a fait le Kremlin.

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De 2022 à 2024, le discours de Donald Trump sur la guerre en Ukraine est surtout pacifiste. Il dénonce à de multiples reprises un « gâchis tragique de vies humaines » ou une « guerre stupide qui n’aurait jamais dû commencer », sans jamais chercher à en faire porter la responsabilité à l’un des deux belligérants. Il fait très tôt de ce dossier un argument de campagne : en revenant à la Maison Blanche, il serait capable d’arrêter cette « guerre horrible » en « 24 heures », jure-t-il en janvier 2023. Son élection permettrait d’empêcher une « troisième guerre mondiale », jure-t-il en septembre 2024.

Le Monde

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Sur les faits, les rares fois où il entre dans le détail, il parle de « l’attaque de la Russie », comme le 10 juillet 2024. Il réaffirme d’ailleurs le 26 août et le 4 septembre que la Russie a « envahi » son voisin, moins pour blâmer Vladimir Poutine que pour pointer la supposée passivité de Joe Biden.

Zelensky le « commercial »

Vis-à-vis de Volodymyr Zelensky non plus, Donald Trump ne s’était jamais montré aussi virulent. Certes, l’homme d’affaires, agacé par le montant des aides financières accordées par son pays à l’Ukraine, qualifie en juin 2024 le président ukrainien de « plus grand commercial de l’histoire des politiciens », car « à chaque fois qu’il vient dans notre pays, il repart avec 60 milliards de dollars ». Mais en réalité, c’est Joe Biden qu’il vise : à ses yeux, le président démocrate a été coupable de financer une guerre européenne à la place des Européens. Il évoque d’ailleurs en des termes chaleureux ses échanges à l’été 2024 avec le leader ukrainien, et un « très bon coup de téléphone », à l’issue duquel il réitère sa promesse d’« apporter la paix au monde et terminer la guerre ».

Une fois son élection acquise, fidèle à ses promesses de campagne, Donald Trump se présente d’abord en médiateur. Le 9 décembre, le président élu rencontre Volodymyr Zelensky à Paris en marge de l’inauguration de Notre-Dame, et appelle à un « cessez-le-feu immédiat », en soulignant que l’Ukraine veut « trouver un arrangement et arrêter cette folie », tandis que lui « connaît bien Vladimir [Poutine] ». Sans laisser deviner que trois mois plus tard, après avoir rencontré le président russe, il s’alignerait sur sa rhétorique.

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