C’est un club particulièrement sélect. Ses membres, condamnés à la discrétion, ne se rencontrent jamais. Ils préféreraient, du reste, ne pas y appartenir. L’American Bird Conservancy a baptisé cette confrérie « les oiseaux perdus ». L’association en a défini les critères d’admission, simples : « Ne pas avoir été vu ou entendu depuis dix ans, ne pas être pour autant considéré comme éteint », récite l’ornithologue John Mittermeier, directeur du programme. Sur les onze mille espèces d’oiseaux répertoriées dans le monde, cent vingt-cinq répondraient à cette définition. Mais dix d’entre elles ont été particulièrement distinguées. « Les dix plus recherchées… » Pour leur histoire, la rareté des observations antérieures, l’épaisseur du mystère qui les entoure.
Le ptilope de Ripley trône en haut de liste. « Il réunit tout, explique John Mittermeier. Un spécimen unique, aucune autre observation depuis soixante-dix ans, des conditions de découverte extravagantes. » Seul défaut de ce petit colombidé vert : on ignorait jusqu’à il y a peu s’il s’agissait d’une espèce à part entière. Le doute a été levé, le 6 février, dans la revue International Journal of Avian Science. Une équipe de l’université Yale, conduite par un jeune étudiant de licence, a résolu un des plus beaux cold cases de ces dernières années en zoologie. En analysant l’ADN du spécimen conservé dans la collection du Musée Peabody qu’abrite l’établissement, John Nash, 24 ans, et ses collaborateurs ont prouvé qu’ils avaient bel et bien affaire à une espèce. Une espèce ancienne, très ancienne même, bien plus qu’ils ne l’escomptaient. Grâce à leurs investigations, les chercheurs ont aussi fourni les éléments qui pourraient permettre d’en retrouver la trace dans la vie sauvage. Soixante et onze ans après son unique observation.
L’histoire commence le 1er mai 1953. Ce jour-là, l’ornithologue philippin D. S. Rabor est en mission sur les pentes du mont Canlaon, dans l’île de Negros. Le scientifique n’agit pas tout à fait pour son compte. L’expédition sur ce terrain escarpé et boisé a été organisée et financée par Dillon Ripley, conservateur chargé des oiseaux au Musée Peabody. Le chercheur avance lentement, le nez en l’air, l’oreille aux aguets, lorsqu’il aperçoit dans la canopée un couple d’oiseaux intrigant. « Il fait ce qu’on faisait à l’époque, il arme et il tire », raconte John Nash. Des deux volatiles abattus, Rabor ne retrouvera que la femelle. « Le compagnon présumé a été malheureusement perdu dans les sous-bois », écrivent les deux ornithologues dans le compte rendu de deux pages publié en février 1955. Et d’ajouter : « Il sera très intéressant d’étudier le dessin du plumage lorsque le mâle de cette espèce sera découvert. »
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