« Les réponses internationales restent incohérentes pour stopper l’escalade du conflit »

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Un char détruit à Rugari, après des affrontements entre l’armée congolaise et des rebelles du M23, dans l’est de la RDC, en janvier 2023.

Le 10 août 2024, au moins dix-huit personnes ont été tuées près de la ville de Beni, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). D’autres massacres avaient fait quatre-vingts morts le 7 juin. Quarante, le 13 juin. De telles attaques sont devenues courantes depuis fin 2013.

Cette violence spectaculaire est généralement attribuée aux Forces démocratiques alliées (ADF), une rébellion d’origine ougandaise qui a prêté allégeance à l’Etat islamique en 2019. Comme lors de précédentes tueries, aucune force militaire n’est intervenue. Ni l’armée congolaise, ni les forces onusiennes, ni les troupes ougandaises déployées depuis 2021 en Ituri et au Nord-Kivu, et censées lutter contre les ADF.

Cette inaction témoigne de l’agonie de la politique congolaise et internationale qui, depuis les années 1990, ont laissé l’est de la RDC se transformer en cimetière. Cimetière pour les victimes, mais aussi pour les bonnes intentions d’une « communauté internationale » divisée et dont l’intérêt se manifeste surtout quand elle n’a pas d’autres urgences. Comment en sommes-nous arrivés là ?

En comparaison d’autres crises davantage médiatisées – la Syrie il y a dix ans, l’Ukraine ou Gaza aujourd’hui – celle dans l’est de la RDC se joue souvent loin des projecteurs et se voit qualifiée de crise oubliée. Pourtant, la RDC figure régulièrement en tête des statistiques de déplacements forcés provoqués par les conflits. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le pays compte ainsi, au total, près de 7 millions de personnes déplacées. Les violations des droits humains se multiplient. Néanmoins, ces cycles de violences et de déplacements passent généralement sous les radars dans un monde saturé de crises.

Lectures simplistes

Ce n’est qu’avec la résurgence du Mouvement du 23 mars (M23) fin 2021, que l’attention internationale s’est réveillée. Les combats ont intensifié les mouvements de population. Mais le regard politique et médiatique est centré exclusivement sur cette rébellion, alors les groupes armés prolifèrent d’une façon exubérante dans toute la région. Suscitant « réflexe nationaliste », ancré dans des sentiments identitaires et parfois xénophobes, le gouvernement congolais a rallié plusieurs de ces groupes contre le M23 leur donnant un nouvel élan, complexifiant le paysage sécuritaire.

De leurs côtés, les bailleurs internationaux injectent chaque année des milliards de dollars pour tenter de résoudre les conflits. En RDC, ils financent ainsi la Monusco – une mission de maintien de la paix de l’ONU coûteuse et vieillissante –, des fonds humanitaires, des projets de consolidation de la paix visant à endiguer les « causes profondes » du conflit… Sur le papier, l’engagement est considérable mais il souffre d’un manque d’attention politique et de stratégies constructives et innovatrices.

Les trois décennies de violence dans l’est de la RDC ont suscité, plus ou moins, tous les réflexes typiques de l’interventionnisme occidental et de l’approche libérale de la construction de l’Etat. La RDC a ainsi connu ses premières élections démocratiques (en 2006) ; sa première transition politique pacifique ; un engagement renouvelé du Fonds monétaire international ; les casques bleus de l’ONU passent désormais le relais aux organisations régionales (SADC, CAE…).

Mais les réponses à la crise dans l’est de la RDC s’inspirent souvent de lectures simplistes sur les causes de la guerre. Des influenceurs et des experts ressassent des clichés coloniaux et dépolitisés sur la lutte pour l’accès aux ressources naturelles ou la haine ethnique. Peu de commentateurs prennent en compte le caractère profondément politique de la crise.

Répertoires rhétoriques

Les donateurs occidentaux – appelés aujourd’hui « partenaires internationaux » – proposent en effet des solutions techniques à des problèmes politiques. Les discours sur la lutte contre la corruption, l’assainissement du commerce dit « illicite » de minerais et les appels à la cohésion figurent bien dans des répertoires rhétoriques et les communiqués de presse.

Mais les mesures concrètes restent souvent incomplètes ou manquent de pertinence. Les réseaux de grande corruption sont rarement poursuivis en justice dans un contexte où les sanctions internationales dépendent davantage de l’état des relations entre la RDC et des puissances occidentales – telles que les Etats-Unis ou l’Union européenne – qu’à l’importance des faits reprochés.

Les réponses internationales restent également incohérentes pour stopper l’escalade du conflit. Il y a peu de pressions exercées sur Kinshasa au sujet de la collaboration de l’armée congolaise avec des groupes armés non étatiques. Idem pour l’implication militaire des pays voisins. L’Union européenne a dénoncé le soutien rwandais au M23. Cela n’a pas empêché Bruxelles de verser à Kigali une aide financière pour une opération militaire au Mozambique et de préparer le versement d’une deuxième tranche. Le soutien du Burundi à la RDC n’a reçu aucune attention internationale, bien qu’il ait encombré davantage l’échiquier régional et comporte le risque d’affrontements entre troupes rwandaises et burundaises sur le sol congolais.

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Le comportement aléatoire et arbitraire de la « communauté internationale » n’est pas passé inaperçu auprès des Congolais et leurs voisins. Parmi d’autres crises, la RDC démontre que les approches internationales de résolution des conflits ont atteint leurs limites et perdu de leur crédibilité aux yeux des populations. Tout cela contribue à expliquer pourquoi, la RDC et ses rivaux se tournent vers d’autres partenaires dans les domaines sécuritaires, diplomatiques et commerciaux. Ceux-ci sont tout aussi ambigus et motivés par des intérêts politiques, économiques et stratégiques que les puissances occidentales. Mais ils ne prétendent pas agir au nom des droits humains ou de la promotion de la démocratie.

Hypocrisie des intervenants étrangers

Le périmètre de ces changements géopolitiques n’est pas aussi clairement dessiné en RDC qu’au Mali ou en République centrafricaine, où l’arrivée d’un nouvel acteur colonial (la Russie) a brusquement changé la donne en évinçant la France.

Ces changements géopolitiques s’accompagnent de schémas similaires dans la région des Grands Lacs. Ces nouveaux acteurs misent autant sur la longue tradition de condescendance occidentale que sur des campagnes de désinformation et de polarisation des opinions. Tout cela dans un système mondial en mutation et de plus en plus fragmenté.

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L’hypocrisie des intervenants étrangers, nouveaux autant qu’anciens, est complétée en RDC par celle des élites politiques et militaires locales qui externalisent et sous-traitent la sécurité nationale à des groupes armés, à des sociétés militaires privées et à des Etats voisins.

Ce contexte de plus en plus volatil montre que la sécurité en tant que bien commun n’est plus encadrée par une lecture universelle. L’ONU peine à réaliser son rôle d’arbitre mondial. Dans le cas de la crise dans l’est de la RDC, les concurrences mondiales et régionales ne feront qu’augmenter la complexité des réseaux d’alliances et d’antagonismes qui façonnent, depuis des décennies, les moteurs, les intérêts et même les réponses aux conflits.

Que ce soit sous l’angle de la géopolitique, de la realpolitik ou du postcolonialisme, il s’agit là de bouleversements tectoniques. La conséquence humanitaire immédiate en est l’aggravation des souffrances et du déplacement des populations. Dans le même temps, le brouillard de la guerre dissimule les développements inquiétants et plus larges d’une politique internationale génératrice d’insécurité.

Il est ainsi nécessaire de faire face à ces réalités, en particulier pour ceux qui incarnent un système d’interventionnisme occidental et de résolution des conflits en voie de disparition.

Christoph N. Vogel est chercheur, écrivain et ancien expert du Conseil de sécurité de l’ONU.

Koen Vlassenroot est professeur à l’université de Gand et directeur du Conflict Research Group.

Version anglaise publiée à l’adresse suivante https://www.aljazeera.com/opinions/2024/10/26/how-the-world-keeps-failing-eastern-drc

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