« Les jeunes sont plus fragilisés que les adultes, mais pas plus fragiles »

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Christophe Ferveur.

Psychologue et psychanalyste à la Fondation Santé des étudiants de France, vice-président du Réseau de soins psychiatriques et psychologiques pour les étudiants (Resppet), Christophe Ferveur participe, samedi 22 mars, à une des « grandes assemblées » du Monde au festival Nos futurs, autour du thème « Déconnecter… ou pas ! Est-il égoïste de se couper du monde ? », avec Anne Cordier, Jean Massiet, Syrielle Mejias et Paloma Moritz.

Comment les jeunes expriment-ils leur malaise lorsqu’ils vous consultent ?

Les expressions qui reviennent le plus souvent dans la bouche des jeunes lors de la première consultation sont : « Je suis stressé », « Je me sens bloqué », « Je me sens vide ». Ce qui, dans notre langage de psy, renvoie souvent à la notion d’anxiété. Or, si la lutte contre l’anxiété va jusqu’à l’épuisement, le risque, c’est de basculer du côté de la dépression.

A quoi attribuent-ils ce stress ?

En première intention, ils évoquent leurs études. Mais lorsqu’on creuse, ce qui ressort, c’est la crainte d’effectuer des choix. Beaucoup d’éléments nourrissent cette crainte. Le climat sociétal qui règne depuis les années 1960 et qui place l’individu autoentrepreneur de lui-même au centre – le message implicite ou explicite aux jeunes est : « Fais ce que tu veux, mais sois performant. » La pression concernant l’orientation dès la classe de 3e et jusqu’au « bon master », en passant évidemment par Parcoursup. Une certaine friabilité de la base arrière familiale, avec des parents eux-mêmes plus fragilisés qu’avant, notamment sur le plan des normes éducatives – parmi les indices : l’augmentation des burn-out, la consommation accrue de psychotropes dont la France demeure malheureusement championne, les effets sur la santé mentale des incertitudes du contexte économique et du monde professionnel.

Et l’« éco-anxiété » ?

Elle existe, bien sûr, mais ce n’est pas une expression que nous entendons tant que cela. En revanche, ils sont très sensibles à tous les discours sur les risques d’effondrement : celui de l’économie, je l’ai dit, et bien sûr celui de la planète, voire de la démocratie. La vraie question qu’ils posent est : « Où va le monde ? » Notre impuissance à leur répondre fragilise ce qu’on appelle leur socle narcissique, sur lequel s’appuient la confiance en soi et la croyance en l’avenir. Pour avoir envie de grandir, il faut affermir ce socle. Pouvoir s’appuyer sur les adultes, y compris d’ailleurs en s’opposant à eux, ce qui est un grand classique mais qui aujourd’hui est rendu difficile à cause de l’anxiété sociétale ambiante.

Sont-ils plus fragiles que leurs aînés ?

Je ne le crois pas. Plus fragilisés, oui, à l’évidence, et il y a de quoi, mais ils ont beaucoup de ressources.

Sont-ils égoïstes ?

Au contraire. Beaucoup de travaux de mes confrères sociologues le montrent. Avec la fragilisation – là aussi – du collectif, plus que jamais les jeunes cherchent à quel groupe raccrocher leur position d’identité, quitte à ce que parfois ce soit dans l’extrême. Ce qui se floute, c’est la frontière entre l’individuation et l’individualisme, ce qui n’est pas la même chose. Lorsque le socle égotique est fragilisé, ça peut conduire au repli sur soi. D’une certaine façon, on pourrait dire qu’un peu plus d’égoïsme leur ferait du bien : prendre soin de soi, de ce socle narcissique. Et là, les écrans interviennent. Ils peuvent, grâce aux réseaux sociaux, créer un environnement rassurant, un cocon – permettre aux jeunes d’être à la fois repliés et reliés. Mais tout est question de degré : dans sa forme extrême, ce repli peut conduire à ce que les Japonais désignent sous le terme hikikomori. En France, nous employons le mot « retirants » – des jeunes qui vivent le monde extérieur comme un espace phobogène menaçant ou de désolation, et se réfugient dans une tanière où le temps ne s’écoule plus, sans projection future, en retrait de la vie réelle.

Est-ce ce que l’on observe dans les cas de phobie scolaire ?

Ce terme fait débat en psychologie. Il désigne l’école ou l’université comme objets d’une pseudo-phobie. Or, ce dont ils ont peur, c’est du monde adulte en général, non de l’école. L’école n’est que la scène sur laquelle se manifestent et se jouent les éléments de conflits inconscients. Ce que l’on observe, et qui est relativement saillant, c’est que leur défaut d’estime de soi atteint ce que nous appelons les zones narcissiques primaires, celles de la petite enfance. Reculant devant l’obstacle, au moment de prendre leur envol, certains jeunes hésitent et sont tentés de régresser temporairement à ce niveau, celui du début du développement, celui où se jouent les questions de dépendance-indépendance et de séparation-individuation. Pour certains d’entre eux, prendre leur autonomie semble vertigineux.

Comment les aider ?

En adulte rassurant. Une partie de notre travail consiste au fond à leur dire : « Ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer. » Cela relève moins du soin à proprement parler que de ce que nous appelons une démarche d’étayage. Bien évidemment, cela ne suffit pas face aux pathologies les plus sévères, mais, dans bien des cas, cela leur permet de reprendre de l’élan. Quand ils sont moins écrasés par l’anxiété, ils s’autorisent à ouvrir des espaces de rêverie, à accepter le temps suspendu de l’ennui, terreau indispensable à la réflexion et à l’appropriation du savoir – savoir sur soi, savoir sur le monde. C’est dans cette zone psychique que l’on peut s’autoriser à se projeter dans l’avenir et puiser la force d’être créatif, base indispensable au sentiment d’existence et à la capacité d’agir dans un monde habitable et praticable, qui a du sens.

La génération Covid-19 va-t-elle aussi mal qu’on le dit ?

Oui et non. Les demandes de consultation ont explosé. Mais les facteurs sont multiples : on parle beaucoup plus qu’avant de santé mentale et le « chèque psy » a créé un appel d’air. Mais la dégradation de la santé psychique des jeunes est largement antérieure. Mes collègues et moi alertons sur ce sujet depuis vingt ans en signalant que les moyens dans les structures gratuites existantes (BAPU [bureaux d’aide psychologique universitaires], SSE [services de santé étudiants], relais étudiants lycéens…) sont largement insuffisants.

En revanche, la prévalence des troubles psychiatriques évolue peu. Ce qui a nettement augmenté, ce sont les tableaux cliniques d’allure anxio-dépressifs qui nécessitent un accueil rapide et pluridisciplinaire, afin de devancer une dégradation le plus souvent évitable si les premiers signaux d’alerte sont repérés, évalués et pris en charge au plus tôt.

La « grande assemblée » du Monde consacrée au thème « Déconnecter… ou pas ! Est-il égoïste de se couper du monde ? » a lieu samedi 22 mars de 15 heures à 16 h 30 à l’auditorium des Champs libres (10, cours des Alliés, 35000 Rennes​). Entrée libre.
L’intégralité du (riche) programme du festival Nos futurs est accessible en suivant ce lien.

Cet article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec Les Champs libres et Rennes Métropole.

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