les huit vies fauchées du numéro 65

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Rue d’Aubagne, à Marseille, le 12 décembre 2022, à l’emplacement où les deux immeubles se sont effondrés le 5 novembre 2018.

En s’effondrant il y a six ans, l’immeuble du 65 rue d’Aubagne a fauché les vies de huit de ses occupants. Après une vie de bohème pour les uns, une existence cabossée pour les autres, tous avaient posé leur sac à Marseille, dans ce quartier cosmopolite de Noailles. Alors que le procès des responsables présumés de cet effondrement s’ouvre dans la cité phocéenne, jeudi 7 novembre, Le Monde a pu consulter le dossier d’enquête, qui retrace en détail les biographies de chacune des victimes.

Cette rue d’Aubagne aux populations mélangées, aux odeurs d’épices, rappelait à Julien Lalonde-Flores le quartier d’artistes de Lima, au Pérou, où il avait grandi « dans le bruit de la fête et de la musique ». Ce Franco-Péruvien, locataire d’un T1 au deuxième étage, aimait l’aventure par-dessus tout, comme celle de la rencontre de ses parents, à Lima, durant un coup d’Etat militaire, elle étudiante péruvienne, lui entrepreneur en France. Des parents qui ont donné « des racines et des ailes » à ce jeune homme qui, ce 5 novembre 2018, venait de fêter ses 30 ans en famille.

Surnommé « Baloo » par ses camarades du lycée franco-péruvien, Julien Lalonde-Flores s’embarque sur les bateaux de croisière Costa à 19 ans. Il s’émeut en racontant à ses proches « le choc entre l’opulence à bord et la pauvreté des pays visités ». Après plusieurs tours du monde, il jette l’ancre à Marseille. Avec ses chemises aux motifs d’un peuple d’Amazonie du Pérou, il aime faire la fête au cours Julien, avec sa mère lorsque celle-ci est de passage à Marseille. Seul hic, ce logement, que lui a loué un collègue rencontré sur les bateaux de croisière. Ses amis lui disent : « Maintenant tu te barres de là ! » Lui rigole : « Bah si ça tombe, je ferai coucou à la voisine. » Julien devait s’installer quelques jours plus tard en colocation avec un ami. Le 5 novembre, alors qu’il devait prendre son poste de réceptionniste à 7 heures dans un hôtel du Vieux-Port, il avait averti son employeur qu’il attendait une solution car sa porte d’appartement ne fermait plus.

Dans la capitale péruvienne, dans le quartier de Barranco, au bord de l’océan Pacifique, ses amis péruviens ont planté un arbre à sa mémoire. A tous ceux qu’elle rencontre, sa mère, Liliana, répète : « Si la mort de notre enfant peut servir à ce que d’autres puissent vivre plus dignement, ça donnerait un peu de sens… »

Invisible de la société

Sur le même palier que Julien, Tahar Hedfi, un Tunisien âgé de 58 ans, et Cherif Zemar, un Algérien de 36 ans, étaient hébergés cette nuit-là par le locataire en titre, sorti acheter des cigarettes à l’heure du drame. Aux proches de Cherif, les policiers ont remis un briquet Bic et un Opinel retrouvés sur lui. Tout ce qui reste d’une vie d’immigration, depuis une plage proche d’Annaba jusqu’à l’Italie, après une peine de prison en Algérie et un bref mariage duquel va naître sa fille, en 2014. A Marseille, où il débarque en 2016 dans l’espoir d’une vie meilleure, il retrouve des cousins avec lesquels il a grandi. L’un d’eux l’emploie comme videur dans son cabaret. L’établissement fermé, Cherif rejoint ces hommes anonymes qui vendent à la sauvette des cigarettes dans le quartier de Noailles.

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