Les Etats-Unis et Israël se tournent vers l’Afrique pour réinstaller les Palestiniens déracinés de Gaza

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Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et le président américain, Donald Trump, à la Maison Blanche, à Washington, le 4 février 2025.

Les Etats-Unis et Israël ont contacté des responsables de trois pays d’Afrique de l’Est pour discuter de l’utilisation de leurs territoires comme destinations potentielles pour les Palestiniens déracinés de la bande de Gaza dans le cadre du plan d’après-guerre proposé par le président Donald Trump, ont déclaré des responsables américains et israéliens à l’agence Associated Press (AP).

Les contacts avec le Soudan, la Somalie et le Somaliland, région sécessionniste de la Somalie, reflètent la détermination des Etats-Unis et d’Israël à faire avancer un plan qui a été largement condamné et qui a soulevé de graves questions juridiques et morales. Parce que ces trois pays sont pauvres et, dans certains cas, déchirés par la violence, la proposition jette également le doute sur l’objectif déclaré de Donald Trump de réinstaller les Gazaouis dans une « belle région ». Les représentants du Soudan ont déclaré qu’ils avaient rejeté les offres des Etats-Unis, tandis que ceux de la Somalie et du Somaliland ont déclaré à AP qu’ils n’étaient au courant d’aucun contact.

Selon le plan de Donald Trump, les plus de 2 millions d’habitants de Gaza seraient définitivement envoyés ailleurs. Il a proposé que les Etats-Unis prennent possession du territoire, supervisent un long processus de nettoyage et le développent comme un projet immobilier. L’idée d’un transfert massif de Palestiniens était autrefois considérée comme un fantasme de la frange ultranationaliste d’Israël. Mais depuis que M. Trump a présenté cette idée lors d’une réunion à la Maison Blanche, en février, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, l’a saluée comme une « vision audacieuse ».

Les Gazaouis ont rejeté la proposition et n’ont pas tenu compte des affirmations israéliennes selon lesquelles les départs seraient volontaires. Les pays arabes ont exprimé leur opposition avec véhémence et proposé un plan de reconstruction alternatif qui laisserait les Palestiniens sur place. Les groupes de défense des droits humains ont déclaré que le fait de forcer ou de faire pression sur les Gazaouis pour qu’ils partent pourrait constituer un crime de guerre. Néanmoins, la Maison Blanche affirme que Donald Trump « s’en tient à sa vision ».

Incitations financières, diplomatiques et sécuritaires

S’exprimant sous le couvert de l’anonymat, des responsables américains et israéliens ont confirmé les contacts avec la Somalie et le Somaliland, tandis que les Américains ont également confirmé le Soudan, sans pouvoir dire si les efforts avaient progressé ou à quel niveau les discussions avaient eu lieu. Les démarches distinctes des Etats-Unis et d’Israël auprès des trois destinations potentielles ont commencé en février, quelques jours après que Donald Trump a lancé le plan pour Gaza au côté de Benyamin Nétanyahou, selon les responsables américains, qui ont déclaré qu’Israël prenait la tête des discussions.

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Israël et les Etats-Unis ont toute une série d’incitations – financières, diplomatiques et sécuritaires – à offrir à ces partenaires potentiels. C’est une formule que Donald Trump a utilisée il y a cinq ans lorsqu’il a négocié les accords d’Abraham, une série d’accords diplomatiques mutuellement bénéfiques entre Israël et quatre pays arabes.

La Maison Blanche a refusé de commenter ces efforts de sensibilisation. Les bureaux de Benyamin Nétanyahou et de son homme de confiance, le ministre Ron Dermer, qui a dirigé la planification de l’après-guerre en Israël, n’ont pas non plus fait de commentaires. Mais le ministre des finances, Bezalel Smotrich, partisan de longue date de ce qu’il appelle l’émigration « volontaire » des Palestiniens, a déclaré cette semaine qu’Israël s’efforçait d’identifier les pays susceptibles de les accueillir. Il a également déclaré qu’Israël préparait un « très grand département d’émigration » au sein du ministère de la défense.

Voici un aperçu plus détaillé des pays qui ont été approchés, selon les fonctionnaires.

Le Soudan, un pays ravagé par la guerre civile

Ce pays fait partie des quatre pays signataires des accords d’Abraham, qui ont accepté de normaliser leurs relations diplomatiques avec Israël en 2020. Dans le cadre de cet accord, les Etats-Unis ont retiré le Soudan de leur liste d’Etats soutenant le terrorisme, ce qui a permis au pays d’accéder à des prêts internationaux et à une légitimité mondiale. Mais les relations avec Israël n’ont jamais décollé, le Soudan ayant plongé dans une guerre civile entre les forces gouvernementales et le groupe paramilitaire des Forces de soutien rapide (FSR).

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Le conflit a été marqué par des atrocités, notamment des meurtres et des viols à motivation ethnique, selon les Nations unies et des groupes de défense des droits humains. La Cour pénale internationale (CPI) enquête sur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés, et l’administration du président Joe Biden avait déclaré en janvier que les FSR et leurs mandataires commettaient un génocide. Les Etats-Unis et Israël auraient du mal à persuader les Palestiniens de quitter Gaza, en particulier pour un pays en proie à de tels troubles. Mais ils pourraient offrir des incitations au gouvernement de Khartoum, notamment un allègement de la dette, des armes, des technologies et un soutien diplomatique.

Deux responsables soudanais, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, ont confirmé que l’administration Trump avait pris contact avec le gouvernement dirigé par l’armée au sujet de l’accueil des Palestiniens. L’un d’entre eux a déclaré que les contacts avaient commencé avant même l’investiture de Donald Trump, avec des offres d’assistance militaire contre les FSR, d’aide à la reconstruction d’après-guerre et d’autres mesures incitatives. « Cette suggestion a été immédiatement rejetée, a déclaré l’un des fonctionnaires. Personne n’a rouvert le dossier. »

Le général Abdel Fattah Al-Bourhane, qui dirige l’armée régulière, a déclaré lors d’un sommet des dirigeants arabes au Caire, la semaine dernière, que son pays rejetait « catégoriquement tout plan visant à transférer les frères palestiniens de leur terre sous quelque justification ou nom que ce soit ».

Le Somaliland, un territoire en quête de reconnaissance

Le Somaliland, territoire de plus de 3 millions d’habitants situé dans la Corne de l’Afrique, s’est séparé de la Somalie il y a plus de trente ans, mais il n’est pas reconnu internationalement comme un Etat indépendant. La Somalie considère le Somaliland comme faisant partie de son territoire. Le nouveau président du Somaliland, Abdirahman Mohamed Abdullahi, a fait de la reconnaissance internationale une priorité.

Un fonctionnaire américain a confirmé que les Etats-Unis avaient « une conversation discrète avec le Somaliland sur une série de domaines dans lesquels ils peuvent être utiles aux Etats-Unis en échange d’une reconnaissance ». La possibilité d’une reconnaissance américaine pourrait inciter le président Abdullahi à revenir sur la solidarité du territoire avec les Palestiniens. Un fonctionnaire du Somaliland, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, a déclaré que son gouvernement n’avait pas été approché et qu’il n’était pas en pourparlers pour accueillir des Palestiniens.

Les Emirats arabes unis, un pays signataire des accords d’Abraham et qui a développé des liens étroits avec Israël, ont déjà eu une base militaire au Somaliland et y maintiennent des intérêts commerciaux, notamment un port. La situation stratégique du territoire, dans la voie navigable du golfe d’Aden, à proximité du Yémen, où se trouvent les rebelles houthistes, pourrait également en faire un allié précieux.

Au fil des ans, le Somaliland a été loué pour son environnement politique relativement stable, contrastant fortement avec les luttes actuelles de la Somalie, confrontée aux attaques meurtrières des Chabab, liés à Al-Qaida. Depuis 1991, le Somaliland a conservé son propre gouvernement, sa monnaie et ses structures de sécurité. Pourtant, ce territoire a l’un des niveaux de revenus les plus bas du monde.

La Somalie, fervent soutien de l’autonomie palestinienne

La Somalie a été un fervent défenseur des Palestiniens, organisant souvent des manifestations pacifiques dans ses rues pour les soutenir. Le pays, qui a participé au récent sommet arabe qui a rejeté le plan de Donald Trump, semble être une destination peu probable pour les Palestiniens, même s’ils acceptaient de se déplacer.

Lire le décryptage | Article réservé à nos abonnés En Somalie, l’inquiétante résurgence de l’organisation Etat islamique

Sambu Chepkorir, avocat et chercheur à Nairobi, au Kenya, estime qu’il est difficile de comprendre pourquoi la Somalie voudrait accueillir des Palestiniens étant donné que le pays soutient fermement l’autonomie palestinienne. « Les réalignements ne cessent de changer et il y a donc peut-être un agenda caché », suggère-t-il.

Un fonctionnaire somalien, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, a déclaré que le pays n’avait pas été approché pour accueillir des Gazaouis et qu’il n’y avait pas eu de discussions à ce sujet.

Le Monde avec AP

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