« Les économistes considèrent les mouvements religieux comme une forme de capital social »

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On pourrait penser que les sciences économiques n’ont pas grand-chose à dire sur les principes qui devraient guider les évolutions des religions et de leur rôle dans la société. Pourtant, le fondateur des sciences économiques modernes, Adam Smith, a consacré de nombreuses pages de La Richesse des nations (1776) aux relations entre différents mouvements religieux et aux liens de ceux-ci avec les pouvoirs publics.

Et pour cause : il a commencé son livre en France, à Toulouse précisément, où il a débarqué dans une ville en effervescence en raison de l’affaire Jean Calas [un protestant accusé d’avoir tué son fils], survenue deux ans plus tôt. Quelques semaines après son arrivée, il écrit à son grand ami, le philosophe David Hume, qu’il s’ennuie tellement qu’il a entrepris de rédiger un livre « pour passer le temps ». Nous devons ainsi cette œuvre magistrale à la vie intellectuelle morne de Toulouse à l’époque…

Pour le « père » de la science économique, les relations entre les Eglises et les pouvoirs publics ne constituaient pas une simple question philosophique ou juridique. Bien que les mouvements religieux prônent le dépassement des contraintes matérielles du monde terrestre, ils constituaient également de puissantes forces économiques. Leurs institutions géraient un patrimoine considérable de terres, de monuments et de ressources variées, ainsi qu’une main-d’œuvre (prêtres, religieux et religieuses) de plus d’un million de personnes en Europe occidentale à l’époque de Smith.

Abus de pouvoir

Les conditions de cette gestion économique avaient donc, écrit Adam Smith, des conséquences non seulement pour l’économie d’un pays, mais aussi pour sa sécurité. Selon lui, les Eglises protégées par les forces de l’Etat abusaient plus facilement de leur pouvoir sur leurs fidèles et sur les membres des mouvements religieux rivaux (comme l’avait fait l’Eglise catholique de manière flagrante dans l’affaire Calas et de façon plus générale pendant les guerres de religion). Seul un cadre juridique neutre, conclut-il, pouvait inciter les chefs religieux à abandonner le recours à la violence pour se consacrer aux véritables besoins de leurs fidèles.

Aujourd’hui, l’instrumentalisation de la religion par des régimes politiques est en plein essor dans le monde. Que ce soit le soutien de l’Eglise orthodoxe russe à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le rôle des extrémistes religieux au sein du Hamas, du Hezbollah et du gouvernement israélien, ou la promotion d’un rôle privilégié de l’hindouisme par le BJP de Narendra Modi en Inde, des autocrates et des populistes de tous horizons n’hésitent pas à mobiliser le soutien religieux pour asseoir leur légitimité. En retour, ils octroient aux mouvements religieux divers privilèges en matière d’emploi, d’éducation, de fiscalité, et même, dans certains pays, le droit d’imposer des obligations religieuses à tous les citoyens.

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