

En ce lundi matin caniculaire, des centaines de familles soudanaises affluent à la gare centrale du Caire avec des piles de bagages pour embarquer dans un train gratuit et retourner dans leur pays ravagé par deux ans de guerre meurtrière. « C’est un sentiment indescriptible », confie Khadija Mohamed Ali, assise dans l’un des vieux wagons du train, ses cinq filles à ses côtés. « Je suis heureuse de retrouver mes voisins, ma famille, ma rue » dans le quartier d’East Nile, à Khartoum, dit à l’Agence France-Presse (AFP) cette femme au foyer de 45 ans. A 11 h 30 précises, un sifflement sourd perce le vacarme. Une locomotive usée entre en gare. Des acclamations éclatent, des femmes lancent des youyous.
Lundi 21 juillet, déjà, quelque 850 passagers ont embarqué en « troisième classe climatisée » pour douze heures de voyage vers Assouan, dans le sud de l’Egypte, avant de passer la frontière en bus. Ce programme de retour volontaire est conjointement organisé par les Chemins de fer nationaux égyptiens et les Industries de défense soudanaises.
Au même moment, d’autres continuent de fuir : plus de 65 000 Soudanais ont franchi la frontière du Tchad en un peu plus d’un mois (environ 1 400 personnes par jour), selon un rapport publié en juin par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Les passages par la Libye, réputée comme une des routes les plus dangereuses vers l’Europe, augmentent depuis le début de l’année, selon le Mixed Migration Center.
Depuis avril 2023, la guerre entre le chef de l’armée, Abdel Fattah Al-Bourhane, et son ancien allié Mohammed Hamdan Daglo, chef des Forces de soutien rapide (FSR), a fait des dizaines de milliers de morts et plus de 14 millions de déplacés, entraînant la « pire crise humanitaire au monde », selon les Nations unies. La capitale a été reprise en mai par l’armée soudanaise et le nouveau premier ministre, Kamil Idris, s’y est rendu la semaine dernière pour présenter d’ambitieux projets de réhabilitation en vue du « retour des citoyens ». Les Nations unies prévoient plus de 2 millions de retours dans le Grand Khartoum d’ici à la fin de l’année.
La sécurité reste précaire
Mais selon les correspondants de l’AFP sur place, la sécurité reste précaire, les infrastructures publiques sont en ruine, les services de santé rares, le réseau d’eau très endommagé, plusieurs quartiers toujours privés d’électricité. « Les choses s’amélioreront lentement », assure Maryam Ahmed Mohamed, 52 ans, qui veut rentrer avec ses deux filles à Omdourman, la ville jumelle de Khartoum. « Au moins, nous serons à la maison avec notre famille et nos amis », dit-elle.
Pour la plupart, le retour au pays semble moins motivé par la confiance en l’avenir que par le présent difficile en Egypte. Les quelque 1,5 million de Soudanais qui, selon les Nations unies, se sont réfugiés en Egypte, ont un droit restreint de travail et d’accès aux services publics. Beaucoup disent souffrir de l’augmentation des loyers, de l’accès limité aux écoles et de la crise économique.
Hayam Mohamed, 34 ans, a fui Khartoum avec sa famille il y a dix mois et veut rentrer même si les services sont quasi inexistants dans son quartier. « La vie est trop chère ici. Mes enfants retourneront à l’école et je vivrai avec ma famille », dit-elle à l’AFP. Ilham Khalafallah, une mère de trois enfants qui a passé sept mois en Egypte, a eu, elle aussi, du mal à s’en sortir. Elle retourne dans l’Etat de Gezira, repris par l’armée en fin d’année dernière. « Gezira est beaucoup plus sûr et possède de meilleurs services que Khartoum », dit-elle à l’AFP. Environ 71 % des rapatriés se dirigent vers cette région, au sud-est de la capitale, et moins de 10 % reviennent à Khartoum, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Devant la gare du Caire, des dizaines de personnes, assises sur des bancs, espèrent des billets de dernière minute. « Ils m’ont dit que le train était complet mais j’attendrai », explique Maryam Abdullah, 32 ans, qui a quitté le Soudan il y a deux ans avec ses six enfants : « Je veux juste rentrer, reconstruire ma maison et renvoyer mes enfants à l’école. »