Sana ne sera pas expulsée. Ainsi en a décidé le tribunal administratif de Lille dans une décision rendue vendredi 3 mai. Cette jeune femme, dont Le Monde avait fait le portrait, est une revenante de Syrie, où elle avait été emmenée contre son gré par sa mère radicalisée en 2014 pour rejoindre les rangs de l’organisation Etat islamique (EI).
Mariée de force à un djihadiste belge à l’âge de 15 ans, elle a eu deux enfants sur place, qui ont été rapatriés en même temps qu’elle en France, en janvier 2023. Sana – il s’agit d’un prénom d’emprunt destiné à protéger son identité – est l’une des rares femmes rapatriée de Syrie à ne pas avoir été mise en examen par la justice française pour association de malfaiteurs terroriste.
Cela n’a pas empêché l’ancien préfet du Nord, Georges-François Leclerc, de décider de son expulsion vers l’Algérie, où elle n’a jamais vécu ni séjourné, pour « menace grave à l’ordre public ». L’arrêté d’expulsion – justifié selon la préfecture par la continuation de contacts avec d’autres revenantes de Syrie et le fait que Sana avait contracté un mariage religieux en ligne avec un djihadiste allemand – était assorti d’une assignation à résidence. Il était également reproché à la jeune femme, âgée de 25 ans aujourd’hui, de ne pas avoir condamné les agissements de l’EI.
« Volonté d’intégration pour ses filles et pour elle-même »
« Si elle n’a pas condamné expressément l’organisation terroriste auprès de laquelle elle a vécu plusieurs années, elle a, à de nombreuses reprises, pris ses distances et exprimé son hostilité à l’égard de son milieu d’origine et de cette période de sa vie », argumente le jugement du tribunal administratif, que Le Monde a pu consulter.
Sana ne conteste pas avoir contracté un « mariage numérique religieux » durant son internement dans un camp gardé par les forces kurdes en 2019, dans le nord-est de la Syrie, mais elle explique l’avoir fait pour obtenir une aide financière alors qu’elle n’avait « plus rien à manger » et pour échapper à un jugement devant un « tribunal islamique », comme l’en menaçait sa mère restée radicalisée.
Sana ne conteste pas non plus entretenir des relations amicales avec une autre jeune femme rapatriée de Syrie, mais « cette personne n’est, pas plus qu’elle, mise en examen par un juge antiterroriste », souligne le tribunal, qui ajoute que Sana a démontré « sa volonté d’intégration sociale et professionnelle en France, pour ses filles et pour elle-même ».
Le tribunal administratif considère, en outre, que la décision d’expulsion portait atteinte à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui stipule que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ». En revanche, il ne fait pas droit à la demande de Sana d’obtenir un titre de séjour, sa mère ayant refusé de demander la nationalité française quand elle était mineure.