
« Une démarche mémorielle après des décennies de honte et de silence », a présenté la sénatrice Laurence Rossignol : le Sénat a adopté, jeudi 20 mars, un texte visant à réhabiliter les femmes condamnées pour avoir avorté avant la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), permise par le vote de la loi Veil, il y a cinquante ans.
Le texte du groupe socialiste, adopté à l’unanimité en première lecture et soutenu par le gouvernement, entend faire reconnaître à l’Etat les « souffrances » des femmes condamnées en vertu de lois attentatoires à leur liberté et dangereuses. Déjà approuvée à l’unanimité ces derniers jours en commission, la loi entend faire reconnaître à l’Etat que les lois en vigueur avant 1975 ont constitué « une atteinte à la protection de la santé des femmes, à l’autonomie sexuelle et reproductive » ou encore « aux droits des femmes », et qu’elles ont conduit à « de nombreux décès » et été sources de « souffrances physiques et morales ».
Création d’une commission de reconnaissance du préjudice
Ce texte, « c’est une façon de dire que la honte doit changer de camp, que ces législations étaient criminelles », expliquait à l’Agence France-Presse Laurence Rossignol, qui a porté la proposition de loi. « Alors que la défense du droit à l’avortement est remise en cause dans le monde, il faut dire au monde entier qu’il y a des pays qui ne plient pas », insistait la sénatrice du Val-de-Marne.
Sa proposition de loi propose par ailleurs la création d’une commission de reconnaissance du préjudice subi par les femmes ayant avorté, chargée de contribuer au « recueil » et à la « transmission de la mémoire » des femmes contraintes aux avortements clandestins et de ceux qui les ont aidées.
La ministre déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé, a salué un « acte d’hommage » pour « rendre justice à celles qui ont combattu dans l’ombre, à celles qui ont payé le prix de leur liberté, parfois de leur vie, le simple droit de disposer d’elles-mêmes ». Elle a notamment évoqué devant les sénateurs l’histoire de sa propre mère, qui avait avorté clandestinement.
Cette initiative concrétise un appel publié au mois de janvier dans Libération au moment des 50 ans de la loi Veil, qui demandait déjà cette réhabilitation. Il était signé par un collectif de personnalités politiques, artistiques et féministes parmi lesquelles l’écrivaine et Prix Nobel de littérature Annie Ernaux, les comédiennes Anna Mouglalis et Laure Calamy ou encore la présidente de la Fondation des femmes Anne-Cécile Mailfert. Pour cette dernière, ce texte « répare une injustice ». « On parle de plus de onze mille personnes condamnées, c’est essentiel de pouvoir les réhabiliter, de leur dire “On n’aurait jamais dû vous condamner pour avoir exercé votre liberté” », dit-elle à l’AFP.
L’initiative donne également corps à une pétition de la Fondation des femmes sur ce sujet, appelant à « réparer une injustice historique » et qui recueillait mercredi soir 9 000 signatures.
« Un très bon signal »
Les associations de défense des droits des femmes ont salué cette proposition. « C’est un très bon signal : à l’heure où une sage-femme vient d’être arrêtée au Texas pour avoir pratiqué des avortements, la France va exactement dans le sens inverse », a souligné auprès de l’AFP Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes. Pour Sarah Durocher, présidente du Planning familial, cela permettra de « rendre un peu de dignité » aux femmes « qui ont vécu dans le silence ».
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La majorité sénatoriale, une alliance entre la droite et les centristes qui avait longtemps rechigné ces dernières années à emprunter le chemin de la constitutionnalisation de l’IVG avant de s’y résoudre, semblait cette fois totalement alignée sur cette initiative. D’autant que le texte ne prévoit pas de volet indemnitaire pour porter réparation aux personnes concernées par cette loi. A dessein, « parce qu’il n’y avait pas que des amies des femmes qui ont pratiqué des avortements », note Laurence Rossignol, qui évoque les « mères maquerelles » ou encore les « proxénètes » ayant pratiqué des avortements clandestins.
Une initiative parallèle des sénateurs socialistes, pour réhabiliter les personnes condamnées pour homosexualité du fait des lois discriminatoires en vigueur entre 1942 et 1982 en France, a déjà prospéré dans les deux chambres du Parlement ces derniers mois. Mais attend toujours son adoption définitive.