
Nous nous étions progressivement habitués à l’idée d’une restauration de Bachar Al-Assad, moins gênante parce qu’il était personnellement affaibli, et rassurante parce qu’elle semblait écarter le spectre d’autres radicalités – particulièrement l’horreur islamiste qui nous avait directement touchés à travers Daech [acronyme arabe de l’Etat islamique]. Il faut maintenant comprendre que ce régime tenait à rien et qu’il s’agissait d’une coquille vide.
Certes, Bachar Al-Assad avait été adoubé de nouveau cette année par la Ligue arabe, ralliée à la pseudo-solution agréée par le trio de tête Russie-Iran-Turquie, qui se partageait cyniquement la dépouille d’un pays exsangue. Mais aucun des foyers de guerres gigognes qui minent la Syrie n’était vraiment éteint. La façade de fausse normalité bricolée par ces trois pays a donc été définitivement enfoncée par le baroud victorieux du groupe rebelle islamiste Hayat Tahrir Al-Cham, difficile à cerner tant il a changé de forme et tant il combine souplesse idéologique et pragmatisme opérationnel.
Une fois la situation militaire stabilisée, au moins à l’ouest du pays, il va falloir décider comment traiter ce nouveau pouvoir, qui nous débarrasse du principal obstacle désigné à la normalisation de nos relations avec la Syrie : Bachar Al-Assad lui-même, symbole désormais sacrifié de l’échec d’un « printemps syrien » avorté en 2011.
L’Europe s’est tenue à distance du conflit syrien pour une série de raisons parfaitement compréhensibles. La distance géographique bien sûr, la difficulté à choisir un camp parmi les options alternatives à Bachar Al-Assad, alors que le terrain se fragmentait et se radicalisait à l’infini. Il aurait fallu être capable d’une ingénierie humaine hypersophistiquée, reposant sur une capacité de renseignement très pointue, faire des choix de soutien pour ne pas intervenir indirectement dans des batailles qui n’emportaient jamais la victoire en soi.
Le succès limité de l’intervention de l’OTAN en Libye nous avait aussi vaccinés contre toute implication militaire hâtive. Faute de boussole et faute de moyens, le désengagement européen apparaissait d’autant plus rationnel que les Etats-Unis, deus ex machina historique de la région, étaient en retrait, et que rien n’était possible sans eux. Notre contribution en Syrie s’est donc limitée à rappeler les lignes rouges – sur l’usage des armes chimiques, non respectée ; énoncer des sanctions, peu utiles ; soutenir une ONU inefficace sur le terrain humanitaire.
Il vous reste 61.36% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.