

Ils hissent deux lourdes enceintes à bout de bras sur le toit de leur camion. Ces adeptes de musique techno préparent un mur de son capable de cracher de la musique un week-end durant. Voilà le genre de clichés que Julie Hascöet, 36 ans, aime saisir. Depuis plus de dix ans, la photographe documente les rave-parties organisées, souvent illégalement, en Bretagne et en Loire-Atlantique pour « donner à voir » cet univers méconnu.
Dans le monde de la photographie, elle est reconnue pour son travail d’ampleur sur ce mouvement né dans les années 1980. « Je ne sais pas expliquer pourquoi il y a eu aussi peu de travail sur les raves-parties. Ce manque a nourri ma curiosité », explique la Finistérienne habituée à graviter jusqu’alors dans l’univers punk.
De teknival en teuf confidentielle, Julie Hascoët est venue et revenue dans ces fêtes clandestines autogérées pour capter des instantanés de vie. Elle s’est mêlée aux festivaliers installés dans des zones isolées, en bord de mer, en forêt, dans des bâtiments désaffectés ou dans des champs. « Mon travail de long terme a été possible parce que j’ai l’impression d’appartenir à ce milieu. Je ne viens pas prendre des photos pour m’en aller ensuite », insiste-t-elle.
Mises bout à bout, ses images ressemblent à un « contre-récit » comme elle aime à le préciser alors que les rave-parties sont souvent réduites à leurs excès, notamment en termes de consommation de drogue et d’alcool. « L’imagerie des free-parties est souvent brutale et parfois violente. Cette série repose beaucoup sur la douceur. On y voit des gens qui s’embrassent ou dorment ensemble. On parle d’amour et de communauté », commente Yves-Marie Guivarch, programmateur de l’établissement culturel des Champs libres à Rennes.
« Montée de la répression »
Ce dernier a exposé, en 2022, le projet de Julie Hascöet intitulé « Murs de l’Atlantique ». Produites en argentique, ces images montrent tantôt des paysages, tantôt des portraits de fêtards et d’infrastructures éphémères nécessaires au déroulé des frees-parties. Les photographies de bunkers construits sur le littoral lors de la seconde guerre mondiale voisinent ainsi avec celles montrant la superposition des caissons de basse diffusant la musique.
Après une décennie à fréquenter le milieu de la teuf, Julie Hascoët observe « une montée de la répression » de la part des autorités à l’encontre des participants. Les raves-parties sont régulièrement interdites par des arrêtés préfectoraux. Elle dénonce aussi des « violences policières ». Lors d’une opération des forces de l’ordre visant à interdire une soirée clandestine à Redon (Ille-et-Vilaine) en 2021, un jeune homme a perdu une main. Amnesty International avait alors alerté sur un « usage abusif » de la force. « Au début de mon travail, j’observais une volonté des organisateurs à dialoguer avec les autorités. Ce n’est plus le cas. Depuis quelques années, on vit une criminalisation du milieu qui vise à le faire disparaître », témoigne la photographe. Elle conclut que, désormais, aller en teuf est un « acte courageux et téméraire ».
Cet article a été réalisé, dans le cadre d’un partenariat avec les Champs libres et Rennes Métropole, par des étudiants de Sciences Po Rennes, à l’occasion de la quatrième édition du festival Nos futurs, qui se déroule du 21 au 23 mars aux Champs libres et dont Le Monde est partenaire.