« Le potentiel est énorme, il faut se préparer »

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Des touristes chinois à l’aéroport international du Kilimandjaro, près d’Arusha, en Tanzanie, en janvier 2020.

Directrice d’une agence de voyage en Tanzanie, Lucy Minde en est persuadée : son pays a beaucoup à offrir aux touristes chinois tout comme ces derniers ont beaucoup à apporter à la Tanzanie. « Nous avons des animaux sauvages, des paysages variés, une culture riche. Et la Chine est un pays très peuplé, avec une importante classe moyenne qui veut voyager et jouit d’un bon pouvoir d’achat », énumère la jeune patronne de Laitolya Tours and Safaris.

Avant l’irruption du Covid-19, son agence avait commencé à concevoir des séjours sur mesure pour cette nouvelle clientèle. Tout s’est arrêté avec la pandémie. Mais la réouverture des frontières chinoises début 2023 lui fait dire qu’il n’y a pas une minute à perdre. « C’est un marché compliqué, mais le potentiel est énorme. Il faut se préparer car les choses peuvent aller très vite », avertit Lucy Minde. La voyagiste a participé à l’accueil d’une délégation de professionnels chinois du tourisme en 2023 et espère pouvoir aller à son tour en Chine dans les mois qui viennent, dans le cadre d’une tournée organisée par les autorités pour vendre la « destination Tanzanie ».

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Le pays d’Afrique de l’Est veut augmenter massivement le nombre de voyageurs en provenance du géant asiatique, qualifié de nouveau « marché stratégique ». Il n’est pas le seul. Campagnes marketing, « roadshows », assouplissement des règles de voyage… De l’Afrique du Sud au Kenya en passant par la Tunisie, les principaux pays touristiques du continent mettent les bouchées doubles pour attirer les visiteurs chinois.

Cette clientèle a de quoi aiguiser les appétits : en 2019, juste avant la pandémie, 155 millions de Chinois avaient passé des vacances à l’étranger, dépensant en moyenne presque deux fois plus pendant leurs séjours qu’un touriste américain. Seule une fraction – moins d’un million – choisissait alors de se rendre en Afrique. Mais ils étaient chaque année plus nombreux.

Développer des stratégies spécifiques

A l’heure où le chapitre noir de la crise sanitaire est en train de se refermer, les professionnels espèrent voir le mouvement s’enclencher à nouveau. Selon les dernières données de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), l’Afrique a comptabilisé quelque 66,4 millions de visiteurs internationaux en 2023, quasiment au même niveau qu’en 2019. Une aubaine sur un continent où le tourisme représente en moyenne 10 % des recettes d’exportation. Mais cette reprise est avant tout le fait des voyageurs européens. La Chine n’y participe que marginalement.

En Afrique du Sud, par exemple, le gouvernement s’est réjoui de la venue de 37 000 touristes chinois entre mars et décembre, soit une hausse de plus de 200 % sur un an. Mais les voyageurs américains ont été presque dix fois plus nombreux (354 000) et les Européens trente fois plus avec 1,2 million de visites enregistrées !

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« Les voyageurs chinois privilégient d’abord la proximité – l’Asie – aux longues distances. Et ceux qui vont loin se concentrent sur quelques destinations emblématiques en Europe ou aux Etats-Unis, facilement accessibles, dotées de bonnes infrastructures et réputées sûres, résume Mike Fabricius, un consultant basé en Afrique du Sud. Ils sont rares à s’aventurer dans nos pays et le tourisme chinois risque de demeurer un marché de niche. »

Pour autant, l’expert juge opportun de développer des stratégies spécifiques, en s’appuyant notamment sur l’étroite relation économique qui lie la Chine au continent : « Ce pays est notre premier partenaire commercial, nous devons mieux capitaliser sur tous ces Chinois qui viennent chez nous en voyage d’affaires tout au long de l’année. »

« Pas assez offensifs »

Les autorités sud-africaines promettent d’alléger les procédures de visa et s’efforcent d’accroître les connexions aériennes entre les deux pays. En Tunisie également, le ministère du tourisme a annoncé en octobre 2023 une exemption de visa pour les touristes chinois et a indiqué vouloir ouvrir un vol Tunisair direct avec la Chine en 2024. La question des liaisons aériennes demeure un casse-tête depuis la pandémie. Au Maroc par exemple, destination traditionnellement prisée des touristes chinois, la ligne Royal Air Maroc entre Casablanca et Pékin, fermée pendant la crise sanitaire, est toujours coupée.

L’accessibilité n’est pas le seul sujet. Les Chinois, font valoir les spécialistes, redoutent les problèmes d’instabilité et de criminalité sur le continent. Ceux qui n’y font pas des affaires connaissent mal l’Afrique. « Jusqu’ici, nous n’avons pas été assez offensifs dans la promotion de notre pays en Chine, affirme Gcobani Mancotywa, responsable de la zone Asie au sein de l’Office du tourisme sud-africain. Désormais, nous concevons des campagnes marketing ciblées en travaillant avec les grandes plates-formes chinoises comme Ctrip [la principale application de voyagiste en Chine] ou Baidu. »

Au Kenya également, les responsables du secteur multiplient les opérations de séduction sur les réseaux sociaux chinois tels que WeChat, Weibo ou encore Douyin (la version chinoise de TikTok). « Pendant trop longtemps, nous avons mal communiqué sur nos produits, estime aussi Mohammed Hersi, ancien président de la Fédération kényane du tourisme et directeur des opérations du tour-opérateur Pollman’s. Le résultat, c’est que les quelques touristes chinois qui viennent chez nous ne sont intéressés que par la migration des gnous dans le parc du Masaï Mara. Mais c’est un événement très bref qui n’a lieu qu’une fois par an, alors que nous avons tant d’autres choses à proposer ! »

La faiblesse de l’économie chinoise

Une chose est sûre, les gros pays touristiques ont jusqu’ici calibré l’essentiel de leur offre sur les besoins et les envies des Européens et Nord-Américains. « Mais qu’il s’agisse de la langue, du type de cuisine, de circuits ou de divertissements, les attentes des Chinois ne sont pas les mêmes, souligne Lucy Minde. Nous devons apprendre à nous adapter. »

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Reste un facteur sur lequel les pays africains n’ont guère de ressort : la faiblesse de l’économie chinoise, avec un taux de chômage record parmi les jeunes et des revenus qui augmentent moins vite. Une situation complexe dont les effets sur le tourisme se ressentent partout. Ces derniers mois, les Chinois ne sont revenus qu’au compte-gouttes en France, l’une de leurs destinations favorites avant le Covid-19.

« Viser les Chinois, c’est bien, mais ça ne doit pas être notre unique objectif, insiste d’ailleurs Mohammed Hersi. Il y a d’autres nouveaux marchés très prometteurs comme l’Inde ou l’Europe de l’Est et il ne faut surtout pas négliger nos clients traditionnels en Europe et aux Etats-Unis qui restent toujours les plus importants. »



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