« Le Liban nous a pris notre sourire, notre vie »

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Juliette Nachanakian est une femme élégante. En pantalon et veste rouges, maquillée avec soin, elle reçoit en ce début d’automne chez elle, dans le quartier chrétien d’Achrafieh, à Beyrouth. Son appartement au sol en marbre est impeccablement rangé. Dans son vaste salon, installée dans un fauteuil baroque en bois doré, cette Libanaise de 80 ans est entourée de photos de famille, notamment celles de ses filles, Paola et Rebecca, et celles d’Estel et Audrey, ses deux petites-filles. Toutes vivent loin d’elle, Rebecca à Paris, Paola et ses enfants, au Qatar.

Au fil des guerres et des crises qu’a connues le pays, la vie de cette femme, comme celle de nombreux Libanais, a été marquée par l’exil, avec des allers-retours entre le Liban et l’étranger, des séparations douloureuses, des petits-enfants qu’on ne voit pas grandir. Des fausses joies, aussi. Sa fille Paola Zebre venait de rentrer à Beyrouth en juin, pour se rapprocher de sa mère, quand, de nouveau, la guerre a éclaté, fin septembre.

« Les guerres ne me lâchent pas », dit Juliette Nachanakian en riant, ses yeux noisette pétillant. Paola est repartie au Qatar. L’octogénaire et son mari malade se retrouvent à nouveau seuls. Le 26 novembre, un cessez-le-feu a été annoncé entre Israël et le Hezbollah. « Une bonne nouvelle pour tout le monde », commente Paola, qui, pour autant, n’a pas prévu de revenir tout de suite. La trêve ne changera rien dans l’immédiat à la situation de cette famille dispersée à travers le monde.

Déplacements massifs

Le premier exil de Juliette date d’il y a cinquante ans. En 1975, alors divorcée et déjà mère de Paola, née en 1971, elle vient de se remarier avec Antoine Nachanakian, un étudiant en médecine de Beyrouth, quand éclate la guerre civile. L’affrontement des communautés religieuses, politiques et sociales du Liban, exacerbé par les inégalités, l’ingérence étrangère et les ­tensions confessionnelles, durera jusqu’en 1990 et causera environ 150 000 morts ainsi que des déplacements massifs. « Les bombardements étaient incessants autour de chez moi, raconte Juliette Nachanakian. On ne pouvait pas aller très loin ni traverser les zones de combat. Le destin se jouait parfois sur une simple carte d’identité, chrétienne ou musulmane [qui exposait les gens aux risques d’assassinat ou d’enlèvement]. » Lorsque son mari évoque l’idée de poursuivre ses études en France, le couple n’hésite pas. « Quand j’ai quitté le Liban, je ne me suis pas retournée », se remémore-t-elle.

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