Un avocat convoqué par la police, ce n’est pas courant. Mais un avocat convoqué par la police à la suite de la plainte d’une directrice de prison, ça l’est encore moins. L’avocat parisien Raphaël Kempf s’est présenté jeudi matin 5 décembre au commissariat du 9e arrondissement de Paris afin d’être auditionné par la police judiciaire dans le cadre d’une enquête préliminaire pour « outrage et diffamation ».
Cette convocation trouve sa source dans la dispute en 2023 entre l’avocat et la directrice de la maison d’arrêt de Nancy-Maxéville au sujet du maintien à l’isolement d’un client de Me Kempf, Mahiedine Merabet, condamné en décembre 2023 à vingt-huit ans de réclusion criminelle pour « association de malfaiteurs terroriste ». Avec son complice Clément Baur, il était accusé d’avoir projeté un ou plusieurs attentats à Marseille, quelques jours avant l’élection présidentielle de 2017. Au moment de leur interpellation, la police avait saisi une quantité impressionnante d’armes et d’explosifs, ainsi que des listes de cibles potentielles dont un meeting de la candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen.
La controverse remonte à la période de détention avant le procès. Mahiedine Merabet avait été soumis au régime de l’isolement pour une durée de trois mois à cause de la nature de l’infraction qui lui était reprochée et parce que deux téléphones avaient été retrouvés en sa possession en l’espace de trois jours en 2023. Son avocat estime, pour sa part, que « l’isolement en prison est considéré par beaucoup comme une “torture blanche”. C’est notre rôle d’avocat de dire que des prisonniers ne devraient pas être soumis à un traitement inhumain ou dégradant ».
Pour mettre fin à ce régime carcéral particulier, Me Kempf avait déposé une requête en référé, le 12 juin 2023, auprès du tribunal administratif de Nancy. La juge des référés lui avait donné raison dans une ordonnance du 25 juillet 2023, considérant que « ces seuls éléments ne peuvent être regardés comme constituant des circonstances particulières liées à la nécessité du maintien de l’ordre et de la sécurité au sein de l’établissement pénitentiaire » et ordonnant la fin de la mise à l’isolement en attendant une décision au fond.
Soutien des associations d’avocats
Un peu plus d’un mois après la décision du tribunal administratif, Me Kempf, sollicité par l’administration pénitentiaire pour un débat contradictoire sur l’isolement, s’insurgeait de manière virulente contre la non-exécution du jugement : « Vous n’avez pas honte ? !, écrivait-il dans un courriel. La justice vous a donné tort et vous persévérez, alors que vous n’avez aucun élément nouveau imputable à mon client postérieur au jugement du tribunal administratif (…) Si vous étiez un minimum respectueux de l’Etat de droit, vous attendriez cette décision [du Conseil d’Etat en appel], plutôt que de faire usage de votre pouvoir et de votre force pour faire subir à mon client des conditions de détention ignobles. » A la fin de son mail, l’avocat enjoignait ses interlocuteurs à faire preuve d’une « once de dignité ». Ce sont ces mots qui sont à l’origine de la convocation de jeudi.
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