Rébecca Marciano est une miraculée. Cette vieille dame merveilleuse et presque centenaire aujourd’hui a échappé in extremis à la chambre à gaz. Les nazis avaient pourtant signé son arrêt de mort il y a quatre-vingts ans, le 1er août 1944. La Kommandantur de Marseille organise ce jour-là un nouveau transfert de juifs sélectionnés parmi ceux raflés en ville et détenus à la prison des Baumettes. Direction Drancy puis Auschwitz, direct. Le Reich, pris en tenaille à l’ouest de l’Europe par les Alliés et à l’est par les Russes, accélère le processus d’extermination du peuple marqué de l’étoile jaune. Les convois s’enchaînent.
Le document de la Gestapo que nous avons pu consulter recense 38 noms tapés à la machine à écrire et inscrits par ordre alphabétique. En haut de la feuille, en première position, Alfandari Vida, 48 ans, la mère de Rébecca. A l’époque, cette dernière est aussi une Alfandari, elle n’épousera que bien plus tard Albert Marciano, un ouvrier électricien avec qui elle aura un fils, Michel. A l’été 1944, la jeune Rébecca vient tout juste de fêter ses 16 ans. La police allemande l’a placée en numéro deux sur cet ordre de mission à l’atroce froideur administrative où s’égrène, ligne après ligne, l’horreur de la Shoah.
Ce 1er août, Vida et Rébecca sont brutalement sorties de leur cellule des Baumettes à 14 heures, et rejoignent dans la cour de la prison les autres internés juifs répertoriés le matin même, ainsi que 32 résistants et opposants politiques promis, eux aussi, à l’abîme concentrationnaire allemand. La chaleur est étouffante et les appels succèdent aux appels sous un soleil de plomb. Puis c’est le départ en car pour la gare Saint-Charles. Les déportés sont répartis dans les compartiments d’un wagon voyageur accroché à un wagon postal. Surveillé par douze soldats, le train est tiré par trois locomotives, dont deux doivent être réaffectées à des stations traversées lors du trajet. Ce convoi vers l’enfer s’ébranle de Marseille en début de soirée, mais jamais il n’atteindra Drancy. Grâce à une incroyable opération commando menée par des résistants ardéchois, le train est détourné, pris d’assaut, et ses occupants sont libérés à l’aube du 4 août 1944, en gare d’Annonay.
Trois captifs sont tués lors de l’attaque, mais 67 ont la vie sauve, dont Vida Alfandari – décédée depuis – et sa fille Rébecca. Elle est le dernier témoin de cet exceptionnel fait d’armes dont la mémoire est honorée chaque année à Annonay par une discrète cérémonie locale. Il s’agit pourtant de l’unique détournement de train de déportés réalisé en France au cours de la seconde guerre mondiale.
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