Avant d’accepter la rencontre que Le Monde lui proposait, elle a hésité, plusieurs semaines. Le temps de la réflexion. Elle en a parlé avec certains membres de son cercle le plus proche, et au psychologue qu’elle voit « depuis six mois ». Puis la jeune femme a donné rendez-vous dans un bistrot de la banlieue parisienne.
En terrasse, ce 8 juillet, Maria (son prénom a été changé à sa demande), allure soignée et sourire poli, s’excuse presque : « J’ai beaucoup de trous noirs, liés à pas mal de traumas… Il y a des choses qui sont floues, ce n’est pas que j’essaie de cacher quelque chose. » Elle craint d’avoir oublié certaines dates, d’être imprécise. Jamais auparavant elle n’avait raconté publiquement son histoire.
Sur la table, à côté d’un paquet de cigarettes et du café qu’elle a commandé, Maria, 26 ans, peut consulter un précieux aide-mémoire : son téléphone. De temps à autre, la voilà qui pianote sur l’écran. De ses longs ongles, elle navigue parmi des milliers de photos. Au milieu des paysages de vacances et des bons moments avec les copains, il y a ces gros plans de chair meurtrie. Des photos qu’elle a conservées depuis des années. Au cas où, « pour documenter, sinon personne n’allait me croire ». Peut-être, aussi, pour ne pas oublier. « En fait, explique Maria, c’est en les voyant que ça me revient, sinon parfois ça me sort de la tête. »
Dans cette photothèque, l’alerte la plus ancienne remonte au 2 mars 2018. Une cuisse recouverte d’un hématome. Les souvenirs émergent : « Pour moi, des photos que j’ai, c’est la première violence. On s’embrouille pour je ne sais quoi, lui est à vélo, je suis à pied. (…) Il finit par me rentrer dedans avec le vélo, dans la cuisse, ce qui me fait ce bleu-là. » Il y a aussi les images du 2 septembre 2018. Maria en commente une : « Là, c’est son jogging Adidas, avec mon sang dessus. »
L’un des leaders de l’athlétisme tricolore
Le 17 décembre 2018, une mâchoire rougie et gonflée : « Ça, c’était dans sa chambre à l’Insep [Institut national du sport, de l’expertise et de la performance], je passais du temps dedans. On s’aimait. (…) Il a pété un câble et m’a mis un énorme coup de poing dans la tête. J’avais un partiel, ce jour-là, j’y suis allée toute gonflée. » Le 28 janvier 2019, un selfie horodaté montre la moitié du visage de Maria, un œil rougi de larmes, la tempe boursouflée. « Il était 1 h 41 [du matin], il m’a mis une énorme gifle avec ses chevalières parce qu’il ne supportait pas que je fume. »
L’homme que Maria accuse de violences répétées, en 2018 et 2019, s’appelle Wilfried Happio. A 25 ans, il figure parmi les leaders de l’athlétisme tricolore. Avec son sourire radieux et ses imposantes lunettes de soleil, qu’il porte parfois lors des compétitions de 400 m haies, sa spécialité, il est devenu l’un des visages de l’équipe de France. L’une de ses têtes de gondole, aussi. Au printemps, Adidas, son équipementier et celui des Bleus, a lancé une vaste campagne publicitaire en vue des Jeux olympiques (JO). Et c’est le hurdler que la marque aux trois bandes a choisi pour poser sur d’immenses affiches, aux côtés de son copain Sasha Zhoya, pépite de 22 ans du 110 m haies, et de la sauteuse en longueur Hilary Kpatcha.
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