L’arte povera rattrapé par le marché

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« Sans titre » (1982), de Mario Merz.

On peut s’en émouvoir, s’en irriter : in fine, le marché avale tout, même ce qui a priori s’y dérobe. Démonstration avec l’arte povera, cet art « pauvre » et révolutionnaire forgé en Italie entre 1969 et 1972, que la Bourse de commerce du milliardaire François Pinault célèbre à Paris jusqu’au 20 janvier 2025. Conceptualisé par le critique d’art Germano Celant (1940-2020), ce mouvement envisagé loin des règles de l’argent dénonçait l’hégémonie américaine, opposant une économie de moyens à la dérive mercantile et clinquante du pop art. « L’important était de corroder, graver, briser. Tenter une décomposition du régime culturel imposé », martelait Germano Celant dans la revue italienne Flash Art. En cela, cette avant-garde transalpine s’inscrivait dans les préoccupations esthétiques et éthiques de l’art minimal américain, avec en sus une bonne dose de poésie et de spiritualité.

Fédérés sous cette étiquette, treize artistes ont expérimenté le champ de l’installation, avec des formes simples et des matériaux pauvres et rustiques dont ils réactivent la force symbolique et spirituelle : la paille chez Mario Merz, les troncs et branches d’arbre chez Giuseppe Penone, la laine brute chez Jannis Kounellis, le givre chez Pier Paolo Calzolari… Ces artistes politiques n’ont pas fait vœu de pauvreté. Michele Casamonti, fondateur de l’antenne parisienne de la galerie Tornabuoni Art, qui consacre elle aussi une exposition à ce mouvement, tient à le rappeler, « l’arte povera a eu d’emblée des collectionneurs, des galeristes et donc un marché ». Un marché de niche et d’élite à ses débuts, qui s’est élargi lentement mais sûrement à l’orée des années 2000.

Mariolina Bassetti, responsable de Christie’s en Italie, fait remonter la première embardée dans les prix à 2014. L’écurie de François Pinault met alors en vente la collection de Nerio et Marina Fossati sous le nom de code « Eyes Wide Open ». Celle-ci établit les premiers records pour bon nombre d’artistes de l’arte povera. D’autres collectionneurs sont depuis entrés dans la danse, à l’image des Américains Cindy et Howard Rachofsky, grands prescripteurs basés à Dallas, ou du fondateur de la chaîne de librairies Barnes & Noble, Leonard Riggio, récemment décédé. Magazzino, un musée privé dédié à l’arte povera, voit le jour en 2017 à Cold Spring, dans l’Etat de New York.

Crypté et ludique

La fragilité intrinsèque des pièces a toutefois refroidi certains acheteurs. « Les collectionneurs doivent accepter qu’une œuvre d’arte povera ne se conservera jamais comme une toile de Picasso, prévient Michele Casamonti. Il faut restaurer les moteurs des œuvres de Calzolari, changer les feuilles de tabac des pièces de Kounellis. »

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