« L’arrestation de Pavel Durov marque l’émergence d’espaces numériques souverains »

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Les débats autour de l’arrestation et de la garde à vue de Pavel Durov à Paris et de ses conséquences pour la plate-forme Telegram sont propices aux jugements contrastés et aux controverses numériques. C’est que l’application et son fondateur autorisent le pire comme le meilleur.

Pour le meilleur, c’est l’histoire d’une plate-forme qui s’est construite en opposition à la censure et à la surveillance numérique en Russie. Après la reprise en main par le pouvoir russe du réseau social VKontakte qu’il avait créé, Pavel Durov s’est exilé en 2014 à Dubaï pour développer l’application Telegram, échappant aux régulateurs politiques et aux services de sécurité de son pays d’origine. D’abord confidentiel, le nouveau réseau a rapidement connu le succès, notamment en Russie, où il est devenu le support de communication privilégié pour tous les opposants au régime (journalistes indépendants, défenseurs des droits humains, militants d’opposition…).

En 2018, excédé par ses excès de liberté, le pouvoir russe a tenté de bloquer l’application sur son sol, mais a échoué face à l’inventivité des concepteurs de Telegram, qui ont trouvé les parades techniques pour contourner la censure. Les manifestations alors organisées pour protester contre le blocage, avec, notamment, la participation d’Alexeï Navalny, ont fait de Pavel Durov le héraut de l’Internet libre en Russie. Depuis lors, Telegram héberge les contenus les plus divers. Les médias russes démocratiques (Novaïa Gazeta, Dojd, Meduza…) y demeurent. C’est l’un des derniers lieux du pluralisme médiatique et politique pour les opposants bannis de l’espace public et, désormais, depuis l’agression massive de l’Ukraine, majoritairement contraints à l’exil.

Support pour les malversations

Pour le pire, faute de pouvoir interdire l’application, l’Etat russe a choisi de s’en servir et d’y faire circuler ses contenus officiels et officieux. Les institutions russes y ont ouvert leurs canaux (à l’exemple du ministère de la défense russe) tout comme les propagandistes, qui relaient sa politique de guerre. En Russie et bien au-delà de ses frontières, la plate-forme a été investie par les trafiquants en tous genres. On y trouve les réseaux de vente de drogues, d’armes, de prostitution, ainsi que les sites conspirationnistes les plus divers.

Au sein de l’Union européenne (UE), dans un contexte médiatique ouvert, l’application Telegram n’intéresse guère les sites d’information, les mouvements politiques ou les projets associatifs, qui disposent d’autres espaces de communication. En revanche, les contenus illicites y prospèrent. Il suffit de s’y connecter pour commander de la cocaïne, de la kétamine et des substances chimiques de toute nature. Dans les villes comme dans les campagnes, Telegram permet les malversations en toute discrétion. Il faut cependant être soi-même acteur de ces trafics, vendeur ou consommateur, pour accéder à ces contenus. Il n’y a pas de système de recommandation sur Telegram, et on trouve ces contenus seulement si on les cherche. Cela signifie que l’application est un support pour des pratiques malveillantes qui lui préexistaient et qui lui survivront probablement.

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