L’alcool, cause majeure mais sous-estimée de la violence ordinaire

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Emmanuel est un routier de 50 ans. Un de ces hommes dont l’entourage glisse, avec lassitude, effroi parfois, qu’ils ont « l’alcool mauvais ». Emmanuel boit depuis l’adolescence, une sordide histoire de violences sexuelles dans sa famille, ses deux parents incarcérés pour le viol de sa sœur, lui placé en foyer. Une vie minée par l’alcool. « Je bois depuis trente-sept ans », soupire-t-il en acceptant de témoigner de manière anonyme. En octobre 2023, dans un excès de colère, il a jeté une chaise sur sa fille et insulté sa femme. Les gendarmes l’ont interpellé, le tribunal de Béziers (Hérault) a ordonné une prise en charge de six mois dans le cadre d’une alternative aux poursuites. « Tout mon passé me mangeait, mon soulagement, c’était l’alcool, raconte-t-il. Mais ça me rend très méchant et, quand je prends un verre, je ne peux plus m’arrêter. »

Pendant des années, sa femme s’est arrangée pour éviter les repas de famille, trop risqués, et les dîners entre amis, où l’alcool aurait participé à la fête puis au cauchemar. La vie sur un fil. « J’étais toujours méchant. C’est pour ça aussi que je n’ai pas d’amis, je finis toujours par être agressif. » Lors de ce dernier épisode de violences, sa fille a eu l’idée de l’enregistrer pour qu’il prenne conscience. « Je ne me suis pas reconnu. Le fait d’écouter mes propres mots m’a remis le cerveau en place. J’ai arrêté de boire depuis cette date. »

Six mois d’abstinence, comme premier pas fragile. Assise face à lui, Anne Krugler, une intervenante de l’Association d’entraide et de reclassement social (AERS), l’encourage, tout en soulignant la difficulté à sortir des addictions : « La prise de conscience n’est pas simple, les auteurs sont beaucoup dans le rejet de leur responsabilité. »

Emmanuel, 50 ans, bénéficiaire d’une mesure d’alternative aux poursuites après des faits de violences intrafamiliales sous l’emprise de l’alcool. Dans les locaux de l’Association d’entraide et de reclassement social, à Béziers (Hérault), le 26 avril 2024.

Cette histoire est tristement banale dans la vie d’un tribunal, où se jugent les violences intrafamiliales, les bagarres collectives ou les sorties de boîte de nuit, avec leurs victimes directes et leurs dégâts collatéraux. « Les violences liées à l’alcool, c’est notre quotidien, celui de la permanence du parquet qui gère les suites de garde à vue, celui des comparutions immédiates, celui des juges d’application des peines », constate le procureur de la République de Béziers, Raphaël Balland, à l’origine d’une étude inédite sur la place des addictions dans les comportements violents.

Coût social et sanitaire « astronomique »

Sur plus de huit cents dossiers de violences volontaires étudiés dans le ressort du tribunal, il apparaît que, dans les trois quarts des cas, les auteurs avaient consommé de l’alcool, des stupéfiants ou les deux. « La place de l’alcool et des stupéfiants dans ces violences est inversement proportionnelle à celle qu’elle occupe dans les débats publics, insiste le procureur. En matière de délinquance, on ne regarde que les conséquences, on s’intéresse peu aux causes profondes. »

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