En archéologie, le temps fait beaucoup à l’affaire. Apporter des précisions sur la nature d’objets anciennement exhumés grâce à des techniques nouvelles tient de l’exercice habituel de la discipline. Mais ce qui vient de se passer à l’université de Beersheba, dans le sud d’Israël, apparaît exceptionnel. Une tablette en argile, vieille de 3 500 ans, un des premiers usages connus d’alphabet cunéiforme, a brutalement changé de fonction. Les spécialistes lui attribuaient un usage religieux ou politique. Une étude conduite par une équipe internationale, publiée en ligne, le 11 mai, par la revue d’archéologie Tel Aviv, vient de révéler qu’il s’agissait en vérité d’un outil scolaire, comme une ardoise utilisée par des élèves pour apprendre à écrire.
L’objet avait été dégagé du site de Tel Beth Shemesh, en 1933, par l’équipe de Duncan Mackenzie (1861-1934). Rendu célèbre pour avoir assisté Sir Arthur Evans dans l’exhumation du palais de Knossos, en Crête, l’archéologue écossais s’est ensuite attaché à fouiller ce site majeur de l’âge du bronze, dans le sud du Levant, aujourd’hui au centre d’Israël. C’est lors de sa cinquième et dernière série de fouilles que la tablette sort de terre. Les philologues reconnaissent rapidement les inscriptions : elles ressemblent à celles mises au jour par les Français quelques années auparavant dans la cité côtière d’Ougarit, plus au nord, dans l’actuelle Syrie. Datée du XIVe siècle ou début du XIIIe siècle avant notre ère, elle constitue, après Ougarit justement, le plus ancien exemple connu d’alphabet cunéiforme. Un statut qu’elle conserve jusqu’à nos jours.
Faute de pouvoir déchiffrer les inscriptions, archéologues et philologues se disputent le sens exact de cette tablette. Comme souvent, certains y attribuent une fonction sacrée, ou du moins religieuse, peut-être la transcription d’une prière. D’autres imaginent une lettre diplomatique venue d’Ougarit, peut-être codée, preuve des liens entre les deux cités cananéennes de l’âge du bronze tardif.
Une tablette qui sort de l’ordinaire
C’est pour vérifier cette seconde hypothèse que la Française Cécile Fossé, alors en thèse internationale à l’université d’Evora, au Portugal, débarque en 2020 à l’université de Beersheba. Spécialiste de l’étude des matériaux anciens, elle analyse la composition détaillée et la structure de l’argile pour en déterminer la provenance. « Venait-elle de la région, ou plutôt d’Ougarit, voire d’ailleurs encore dans le Levant ? », résume Yuval Goren, le professeur d’archéologie dont la Française avait rejoint l’équipe. La réponse tombe : la matière rocheuse est typique des collines voisines de Tel Beth Shemesh.
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