Deux jours avant de disparaître dans le crash de son jet, Evgueni Prigojine a laissé un testament. Ce 21 août 2023, le patron du groupe de mercenaires russes Wagner, qui n’avait plus donné signe de vie depuis sa rébellion avortée contre le Kremlin deux mois plus tôt, diffuse une vidéo sur les réseaux sociaux. « Tout va bien. Je me trouve en Afrique. Nous embauchons de vrais héros et continuons de remplir les tâches qui nous ont été confiées », lâche-t-il, la mine impassible au milieu d’un paysage désertique. En treillis, engoncé dans un gilet pare-balles, une arme automatique à la main, Evgueni Prigojine appelle les volontaires à rejoindre Wagner, pour « rendre l’Afrique plus libre ».
Le message semble aussi adressé à son ex-allié, le président russe, Vladimir Poutine, comme pour signifier à celui qui le qualifie désormais de « traître » que sa disgrâce s’arrête aux frontières russes. En Afrique, son empire militaire, commercial et informationnel, bâti depuis 2017 dans quatre pays – le Soudan à l’est, la Libye au nord, le Mali à l’ouest et la Centrafrique –, est bien ancré. Il ne sait pas encore que son voyage en Afrique est le dernier.
Le Kremlin n’a attendu que deux jours après les funérailles d’Evgueni Prigojine pour s’octroyer son legs le plus précieux. Le 31 août 2023, un avion militaire décolle de Moscou en direction du continent africain. A son bord, le vice-ministre de la défense, Iounous-bek Evkourov, et le général Andreï Averianov, un commandant du GRU, la direction du renseignement militaire russe. Les deux hommes ont été missionnés par Vlamidir Poutine.
La consigne dictée tient compte des erreurs du passé. « Pour ne pas perdre à nouveau le contrôle opérationnel d’une formation armée, les autorités russes ont décidé de séparer clairement les composantes commerciale, propagandiste et militaire de l’ancien empire Prigojine », analysent les chercheurs Filip Bryjka et Jedrzej Czerep, coauteurs d’un rapport sur la stratégie africaine de la Russie à l’Institut polonais des affaires internationales. Sous la houlette du ministère de la défense, trois services de renseignement ont la tâche de récupérer et de faire prospérer les différentes branches de Wagner : le GRU se charge des paramilitaires, le FSB, les services russes de sécurité, du réseau de propagande, et le SVR, le renseignement extérieur, de l’influence culturelle.
Le Burkina Faso est en tête des priorités du Kremlin. Le 31 août, Iounous-bek Evkourov et Andreï Averianov débarquent sur le tarmac de l’aéroport de Ouagadougou. A la présidence, le capitaine Ibrahim Traoré, putschiste au pouvoir depuis septembre 2022, les attend. Dans un des salons d’honneur, la rencontre entre les deux délégations est chaleureuse.
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