« La réalité, c’est que je suis mort »

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Théo Luhaka, au tribunal de Bobigny, le 9 janvier 2024.

« Monsieur Luhaka, approchez. » A l’invitation de la présidente, Théodore Luhaka déplie son mètre quatre-vingt-quatorze et se dirige lentement vers la barre, lundi 15 janvier. Ce qui, dans sa main droite, ressemble à un attaché-case, est en fait un coussin rectangulaire muni d’une poignée. L’huissier apporte une chaise. « Je vais commencer debout et je m’assiérai si j’ai besoin. »

Le jeune homme pose son coussin sur le pupitre et, un mètre à peine devant les trois policiers qui l’ont violenté il y a sept ans, entame face à la cour d’assises de la Seine-Saint-Denis sa déposition qui va durer trois heures. « Bonjour à tous. Théodore Luhaka, 29 ans. Aujourd’hui, je ne fais pas grand-chose, je suis à la maison, et je suis handicapé. »

Vendredi, plusieurs spécialistes s’étaient succédé à cette barre pour évoquer, en termes scientifiques et crus, la réalité médicale vécue par le jeune homme, victime d’une rupture du sphincter interne et d’une lésion d’une dizaine de centimètres du canal anal provoquées par un coup de matraque lors d’un contrôle d’identité qui avait dégénéré le 2 février 2017, à Aulnay-sous-Bois.

Son horizon, sa chambre

Tout au long de ce congrès de proctologie aux assises, il avait été question de « sténose anale » et d’« incontinence fécale » ; de la « colostomie » subie par l’intéressé – opération qui consiste à relier le colon à une poche extérieure recueillant ses selles, à vider régulièrement – puis de la seconde opération visant à « réagrafer le colon au rectum » ; de sa « diminution du tonus sphinctérien » et de son « incontinence aux gaz » qui perdure sept ans après, ainsi résumée : « Il peut avoir des pertes de gaz n’importe quand dans la journée. »

« On retient une atteinte à l’intégrité physique et psychologique de 8 % : 5 % pour l’incontinence aux gaz, 3 % pour l’impact psychologique », a exposé l’hépato-gastro-entérologue qui a suivi Théodore Luhaka. Un médecin a évoqué de simples « séquelles, désagréables certes » ; tous ses confrères ont plutôt adhéré à l’idée d’une « infirmité permanente » – état qui justifie la tenue de ce procès aux assises, et non en correctionnelle.

« Au niveau des selles, j’ai trouvé un système : tu ne manges pas, t’as pas de selles. Mais les gaz, on m’a dit : “Tu pourras jamais les enlever” », explique Théo à la cour. Après le retrait de sa poche, il avait cru pouvoir « manger et agir comme si j’étais une personne normale. Ça a été mon erreur. Perdre des selles dehors, loin de chez moi, dans mes sous-vêtements, avec les odeurs qui incommodent… C’est là que j’ai réalisé que j’avais une maladie ».

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