La laïcité, une valeur fondamentale pour la gauche

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Déflagration historique dans la société française, l’assassinat, voilà tout juste dix ans, des journalistes et dessinateurs de Charlie Hebdo a marqué un tournant tragique dans l’histoire des libertés publiques : par fanatisme religieux, on peut, au XXIsiècle, tuer, en France, pour un dessin, un écrit. Pour des paroles aussi, ou simplement pour la fonction que l’on exerce, comme l’ont montré dramatiquement la mort de Samuel Paty, professeur d’histoire, en 2020, et celle de Dominique Bernard, professeur de français, en 2023.

Sous ces chocs, la fracture de l’opinion sur la question de la laïcité n’a cessé de se creuser. Perceptible dès 1989 sur la question du port du foulard islamique à l’école, envenimée dans le contexte international issu des attentats du 11 septembre 2001 à New York, sans cesse instrumentalisée dans le débat politique français, cette faille concerne au premier chef la gauche, pour laquelle la laïcité est un principe fondateur. Depuis le carnage de Charlie, le droit de critiquer l’islam, de publier des caricatures et de blasphémer en est devenu un marqueur essentiel.

Une décennie après, il faut se féliciter du fait que plus de trois Français sur quatre considèrent la liberté d’expression et de caricature comme un droit fondamental et que cette opinion, selon un sondage IFOP paru le 7 janvier, soit en progression. Au-delà de cet apparent consensus, la même enquête reflète les failles de l’opinion : 37 % des personnes proches de La France insoumise (LFI) – contre 24 % en moyenne – estiment qu’« on ne peut pas dire et caricaturer n’importe quoi sous couvert de liberté d’expression ». De même, LFI est l’unique segment de l’électorat où seule une minorité reconnaît le droit au blasphème.

Instrumentalisation

Ce paysage politique éclaire l’abandon relativement récent par Jean-Luc Mélenchon de sa vigoureuse défense de la laïcité, pour séduire l’électorat jeune et aussi les musulmans par un discours dénonçant l’« islamophobie » et ouvert aux tendances communautaires. Mais la volte-face du chef de LFI pose un grave problème à la gauche, à la fois par son extrême cynisme et par le risque d’abandon des valeurs universalistes qui fondent notre vivre-ensemble.

Le 16 janvier 2015, M. Mélenchon avait dénoncé d’une voix tremblante, devant le cercueil de son ami Charb, dessinateur assassiné, « nos plus bornés ennemis, les fanatiques religieux, crétins sanglants ». Son organisation évite aujourd’hui le mot « islamiste » et dénonce les positions de Charlie, journal qui revendique son ancrage à gauche, après une décennie de montée des tensions autour de la laïcité et de l’islam. A gauche, d’autres musiques se font entendre, marquant un ferme soutien aux libertés fondamentales que symbolise désormais l’hebdomadaire.

Si l’anniversaire des tueries de janvier 2015, celle de Charlie Hebdo comme celle de l’Hyper Cacher, porte un message, c’est bien celui de la nécessité de rappeler et de défendre les fondements du principe laïque, loin de leurs caricatures ou de leur instrumentalisation. La laïcité est la règle qui, loin de prôner la lutte contre les religions, permet d’assurer la liberté de croire ou de ne pas croire. Ni marqueur identitaire ni arme contre l’islam, elle permet de sanctionner quiconque cherche à contraindre autrui à exercer un culte ou à l’en empêcher. Plutôt que de présenter la laïcité comme une source de discrimination, la priorité est de la faire vivre concrètement, comme la garantie d’une liberté individuelle essentielle, celle de choisir ses identités, sans subir la moindre pression.

Le Monde

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