Depuis quelques mois, la guerre se rapproche dangereusement en Crimée. « C’est le prochain champ de bataille », assure Bohdan, 22 ans. Le jeune homme a grandi dans la péninsule ukrainienne, annexée par la Russie en 2014 et dont les infrastructures militaires sont aujourd’hui la cible des attaques de Kiev. Lorsque Moscou a envahi l’Ukraine, le 24 février 2022, il a couru réveiller ses parents, des prorusses convaincus : « Vous voyez ce qui se passe ? Où ça mène, le poutinisme ? » « Ils ne voulaient pas y croire, confie cet Ukrainien aujourd’hui exilé en Géorgie. Jusqu’ici, ils pensaient que la Russie était bienveillante. Ils se sont réveillés dans une nouvelle réalité. »
La parole des Criméens est rare. La plupart refusent de s’exprimer de crainte d’être victimes de représailles. Le Monde a toutefois pu recueillir le témoignage de plusieurs d’entre eux, par messagerie sécurisée ou appel vidéo. Certains sont toujours sur place, d’autres, comme Bohdan, ont fui ces derniers mois. Tous ont requis l’anonymat pour assurer leur sécurité ou celle de leurs proches encore dans la péninsule. « Sinon, dès demain, le FSB [les services russes de sécurité] viendra toquer à la porte de mon père », s’inquiète l’un d’eux.
Ils racontent comment la guerre a modifié leur environnement, leur vie quotidienne et leurs aspirations, même si la situation est bien plus calme que dans le reste de l’Ukraine, soumise depuis deux ans aux bombardements russes. « Entre février et septembre 2022, quand j’ai fui la Crimée, c’était l’horreur, la société s’est transformée », reprend Bohdan. Dans la rue, les cinémas, des affiches arborant le sigle « Z », emblème du soutien à la guerre, et d’autres appelant à rejoindre l’armée russe ont fait leur apparition. La population s’est faite plus rare dans l’espace public, en particulier les hommes. « Tout le monde faisait comme s’il ne se passait rien, alors qu’en ville chaque pancarte était un appel à s’engager et rappelait la guerre. »
« L’oppression a atteint des sommets »
La répression, déjà à l’œuvre depuis 2014, s’est encore accrue. S’opposer à l’« opération militaire spéciale » du président russe, Vladimir Poutine, est particulièrement risqué. « Si tu es pris, tu dois t’excuser publiquement face caméra, ou répondre devant un tribunal », raconte Olga, 20 ans, qui habite dans la région de Sébastopol.
Tamila Tacheva, représentante du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, pour la Crimée, confirme : « Après l’offensive à grande échelle de février 2022, et surtout en 2023, l’oppression a atteint des sommets. Il y a des fouilles dans la rue, les passeports peuvent être confisqués et les téléphones sont scrutés. »
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