« La France ne pourra être à l’avant-garde de la question océanique qu’à condition d’opérer un retour réflexif sur sa propre histoire »

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En pleine COP28, alors que les discussions relatives aux énergies fossiles occupent le cœur de l’attention, est parue l’enquête Ipsos de la Commission nationale du débat public intitulé « Les Français et la mer » [menée auprès d’un échantillon de Français en novembre 2023]. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour comprendre le lien entre l’un et l’autre. On connaît l’importance politique que revêt désormais la question des énergies renouvelables, sur laquelle la France accuse un retard remarqué.

L’éolien en mer apparaît comme un compromis idéal, susceptible de satisfaire l’exigence européenne en matière de développement des énergies renouvelables et les revendications des élus ruraux qui avaient fait pression en 2020 pour que s’opère un « changement de cap ». C’est indéniablement ce à quoi cette enquête participe, en permettant au gouvernement, instruit des crispations qu’avait engendrées sur le continent l’installation « anarchique » d’éoliennes, de miser sur la consultation publique.

L’idée, pour légitime et nécessaire qu’elle soit, de faire de l’éolien l’occasion de « découvrir comment les Français perçoivent la mer » trouve néanmoins, en l’état, un traitement problématique. Car, à la surprise du lecteur – surprise qui frôle la consternation et confine à l’injure –, le citoyen français ultramarin se trouve d’emblée exclu de l’équation océanique : aucun d’entre eux ne fait partie de la consultation. Ignorance ? Oubli délibéré ? Cette ablation de la part la plus substantielle de l’océan français semble curieusement n’émouvoir personne.

La France océanique est pourtant bien la France ultramarine. Et cela ne tient pas uniquement au fait que le territoire maritime français est à 97 % situé dans ses outre-mer ; ni même à la singularité remarquable que ces derniers confèrent à la France en composant cet échantillon unique de formes d’océanités, c’est-à-dire de types de relations à l’océan. Cela tient aussi à la légitimité que donnent les outre-mer à la France d’être à l’initiative d’une politique océanique d’« avant-garde », par l’amplitude des problématiques qui sont les siennes et auxquelles une grande majorité des Etats sera demain confrontée.

Une nation qui « a raté la mer »

Car c’est bien en effet sur ce rôle d’« avant-garde » que le président Macron avait insisté lors de la Déclaration sur la politique de la mer, en formulant le souhait que la France embrasse pleinement son « destin maritime », sans préciser toutefois en quoi celui-ci consisterait. Il faut dire que ce « destin maritime français » n’est pas évident à aborder tant en la matière la France a longtemps incarné (et continue vraisemblablement à le faire) ce paradoxe que relevait Fernand Braudel dans L’Identité de la France (1979) : celui d’être une nation qui, tout en étant pourvue d’un empire maritime unique, « a raté la mer ».

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