la Dahiyé, un ancien foyer progressiste, passé sous la tutelle du Hezbollah

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Vue de la rue Hadi Nasrallah, après les frappes israéliennes sur la banlieue sud de Beyrouth, le 14 novembre 2024.

Médecin, de sensibilité laïque, Mohamed ne se reconnaît pas dans la description de la banlieue sud de Beyrouth comme une forteresse du Hezbollah ou un « lieu exceptionnel, unicolore, fantasmé, dont les habitants sont dépeints comme des religieux rigoristes ». Pour ce pédiatre, la Dahiyé (banlieue, en arabe), pilonnée par l’armée israélienne depuis fin septembre, « région chiite aux diverses sensibilités avant d’être une zone d’influence du Hezbollah », a été, avant toute chose, son lieu de vie, avant et après les vingt-cinq années qu’il a passées en France, comme étudiant et praticien.

Il remonte l’histoire : « A partir des années 1950, des chiites pauvres, venus du sud du Liban et de la plaine de la Bekaa, se sont installés dans la périphérie de Beyrouth. Ils étaient alors marginalisés politiquement, et leurs régions d’origine, agricoles, étaient laissées pour compte par l’Etat », dit le médecin, dont la famille est originaire du Sud.

Ces émigrés n’arrivent pas dans un endroit vierge : une petite bourgeoisie a émergé sur le territoire que l’on nomme aujourd’hui la banlieue sud. Ancien lieu de production de la soie, il rassemble plusieurs municipalités, parsemées alors d’espaces verts et de vergers, et dont la population est mixte d’un point de vue confessionnel : des chrétiens – comme en témoigne la présence d’églises – et des musulmans vivent côte à côte. La région offre une proximité avec Beyrouth, avec son aéroport pourvoyeur d’emplois, et un habitat moins cher.

Mais à la fin des années 1960, la géopolitique proche-orientale rattrape cette zone qui a « toujours été rebelle » et a été « un foyer pour les idées progressistes, nationalistes arabes, communistes », explique Lamia Moubayed, experte en gouvernance publique, qui y est née. Elle a raconté l’histoire de sa mère et de sa famille dans un livre, Leïla (Dar Al-Jadid, 2022, non traduit). De jeunes chiites rejoignent à cette époque les rangs des fedayins (combattants) palestiniens. Deux camps de réfugiés, Bourj Al-Barajneh et Chatila, se trouvent aux portes de la banlieue sud. Le clerc Moussa Sadr conceptualise le statut de « déshérités » des chiites et prône une libération qui passe par le retour au religieux.

« Contre-société islamique »

Avec la guerre civile qui éclate en 1975, la banlieue sud perd sa mixité : les chrétiens partent, dans un moment de repli généralisé. Les déplacements forcés d’alors conduisent à un nouvel afflux de chiites vers la banlieue sud. Produit de la révolution islamique de 1979 en Iran et de l’invasion israélienne du Liban en 1982, le Hezbollah va progressivement prendre le contrôle de cette région. Dans les années 1980, alors que ses militants combattent les troupes de l’Etat hébreu dans le sud du pays, le mouvement lance son projet de « contre-société islamique », en ouvrant des associations caritatives calquées sur un modèle iranien et un hôpital. Sa pénétration est facilitée par l’absence de l’Etat.

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