La Côte d’Ivoire championne africaine de l’égalité des genres, un titre controversé

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Une femme attend une consultation au centre Akwaba Mousso, un centre d’accueil pour les femmes et les enfants victimes d’abus, à Abidjan, le 6 mars 2024.

La note valait bien une célébration. Vendredi 13 septembre, devant un parterre d’associations, de membres du gouvernement et de journalistes réunis au Sofitel d’Abidjan, le premier ministre ivoirien, Robert Beugré Mambé, ne pouvait échapper à un moment de satisfecit officiel.

La raison ? Selon l’indicateur « Institutions sociales et égalité des genres » (SIGI) de 2023 établi par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Côte d’Ivoire est le meilleur élève du continent africain en matière de lutte contre les discriminations à l’égard des femmes. Son score est de 17,3 (contre 42,8 en 2019), quand la moyenne mondiale se situe à 29 (0 étant le meilleur score et 100 le plus mauvais). « Nous faisons notre entrée dans le gotha des 55 pays les mieux classés sur l’échiquier mondial », s’est réjoui le chef du gouvernement. La Côte d’Ivoire passe ainsi devant le Rwanda (19), l’Afrique du Sud (23) ou encore le Canada (17,5).

Le rapport se fonde sur quatre catégories : les discriminations au sein du foyer, l’accès aux ressources financières, les atteintes à l’intégrité physique et la restriction des libertés civiles. Avec comme critères d’évaluation l’existence de lois qui visent à garantir l’égalité hommes-femmes et à protéger ces dernières, la prévalence des violences basées sur le genre (VBG) et la perception du rôle et des droits des femmes au sein de la population.

« Sentiment d’impunité »

Selon le ministère ivoirien de la femme, cette nette progression est le fruit d’un renforcement des capacités économiques des femmes à travers des fonds d’appui, de lois récentes favorisant leurs droits et de progrès effectués en matière de lutte contre les VBG (violences conjugales, mutilations génitales…). « Notre singularité est de coupler les questions de genre aux enjeux de développement économique et durable », résume Euphrasie Kouassi Yao, conseillère du premier ministre chargée du genre et présidente du groupe technique consultatif qui a collaboré avec l’OCDE pour l’évaluation du pays.

Au sein des milieux féministes ivoiriens, l’appréciation est toutefois plus contrastée. Deux jours avant cette annonce, le 11 septembre, le corps sans vie et démembré d’une influenceuse de 19 ans, Emmanuella Y., avait été retrouvé dans une résidence de la commune de Cocody, à Abidjan. Les premiers éléments de l’enquête s’orientent vers la culpabilité de son compagnon. « C’est le quatrième féminicide que nous répertorions depuis le début du mois », rappelle Bénédicte Otokoré, la secrétaire générale adjointe de la Ligue ivoirienne des droits des femmes.

Pour la militante, le rapport de l’OCDE se focalise sur l’existence de lois et non sur leur application effective. « De bonnes lois ont été prises pour protéger les femmes, mais la méconnaissance de ces textes renforce le sentiment d’impunité. On observe une banalisation des discours sexistes et les féminicides continuent », dit-elle. En outre, les féminicides ne figurent pas parmi les six types de VBG pris en compte par le ministère ivoirien de la femme. Il n’existe donc pas de statistiques officielles pour les quantifier, « ce qui amène à brosser un état des lieux pas très réaliste », pointe Bénédicte Otokoré.

Devant l’augmentation des cas de féminicides, la Ligue ivoirienne des droits des femmes a adressé le 18 septembre une déclaration aux pouvoirs publics afin d’exiger une réforme judiciaire pour la reconnaissance et la lutte contre ce phénomène. Une démarche soutenue par la journaliste et militante féministe Nesmon de Laure, fondatrice de l’ONG Opinion éclairée, qui s’interroge elle aussi sur le score obtenu : « Les lois font grimper la note de la Côte d’Ivoire. Mais qu’en est-il de l’action du gouvernement pour lutter contre le patriarcat dans les normes sociales ? »

Campagnes de sensibilisation

Ces dernières années, l’adoption de plusieurs lois a permis de faire évoluer le cadre juridique ivoirien. La réforme du code de la famille, en 2019, a harmonisé l’âge légal du mariage pour les femmes et les hommes à 18 ans. Le texte donne à la mère la même autorité parentale que le père et autorise une épouse à entrer dans l’ordre de succession de son mari. La même année a été voté un quota minimal de 30 % de femmes dans les assemblées élues. En 2021, une loi relative aux violences domestiques et au viol a garanti plus de mesures de protection pour les victimes de VBG. Et depuis 2016, la multiplication des bureaux de plaintes dévolus au genre au sein des commissariats vise à encourager la parole des femmes.

La juriste Ferela Soro, responsable des plaidoyers de l’Organisation pour la réflexion et l’action féministe (ORAF), salue ces outils juridiques mais attend que la justice les applique avec des « peines dissuasives » et que le gouvernement combatte « plus frontalement » les actes sexistes. « Tant qu’on n’accélérera pas sur la formation de l’opinion publique et l’application des sanctions, la culture de la violence à l’égard des femmes perdurera », estime-t-elle. Et de citer en exemple les mutilations génitales, interdites depuis 1988 mais qui concerneraient encore 37 % des Ivoiriennes, selon l’évaluation de l’OCDE.

Le ministère de la femme reconnaît que « la persistance de stéréotypes culturels » entrave les progrès. Pour s’y attaquer, il explique mettre en place des campagnes de sensibilisation, collaborer avec des influenceurs afin de toucher les jeunes à travers les réseaux sociaux, ou encore coopérer avec des leaders communautaires afin d’influencer positivement les perceptions sur les rôles des femmes.

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Si l’OCDE conforte la Côte d’Ivoire dans sa stratégie, elle l’invite aussi à renforcer son action pour endiguer les VBG et favoriser l’autonomie reproductive. En outre, l’application des lois doit être améliorée, selon elle. Un préalable si le pays souhaite atteindre son ambitieux objectif de mettre fin à toutes les formes de discriminations et de violences envers ses citoyennes d’ici à 2030, en conformité avec les objectifs de développement durable définis par l’ONU.

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