Personne ne peut massacrer son peuple sans en payer un jour le prix. Ce principe auquel trop de dictateurs parviennent pourtant à échapper s’est abattu, dans la nuit du samedi 7 au dimanche 8 décembre, sur le régime de Bachar Al-Assad. Fossoyeur de sa dynastie, ce dernier a fui dans la honte et le déshonneur, emporté par une offensive fulgurante de nationalistes islamistes. Elle a mis à nu le délabrement d’un système qui aura eu pour constante pendant plus d’un demi-siècle l’impéritie, la torture et l’écrasement de la moindre voix dissidente.
On ne peut que saluer l’effondrement spectaculaire de ce régime sanguinaire. Et déplorer une dernière fois qu’il se soit toujours trouvé des avocats à l’extérieur de ses frontières au nom d’intérêts qui n’avaient rien à voir avec ceux des Syriens, y compris en France où certains très à gauche et très à droite sont restés volontairement aveugles face à la réalité effroyable de cet « Etat de barbarie », selon la formule définitive de Michel Seurat.
Cette débâcle rappelle un autre principe. N’en déplaise aux contempteurs de démocraties assurément imparfaites, une dictature n’est jamais durable. En énervant un corps social privé de tout ce qui assure sa résilience, un pouvoir adossé à la peur et à la captation des ressources nationales par un clan travaille inéluctablement à sa perte.
Voilà où en est la Syrie et le reflux du assadisme laisse derrière lui un pays exsangue, appauvri par quatre décennies d’incurie, miné par quinze années de guerre civile et dépouillé en outre de sa souveraineté par des parrains ou des adversaires envahissants. La Syrie n’est plus qu’un amas de ruines, vidée de ses forces vives. Tout est à reconstruire, à commencer par un ordre politique et social qui tienne compte de ce qui reste de sa mosaïque confessionnelle et ethnique.
Un peuple longtemps tenu à distance
Le passé djihadiste et la nature islamiste de la faction armée déterminante dans la mise à terre du régime syrien, Hayat Tahrir Al-Cham (HTC, Organisation de libération du Levant), ancienne branche d’Al-Qaida en Syrie, sont évidemment de nature à nourrir les inquiétudes. En Syrie tout d’abord, tout à la joie aujourd’hui de voir s’ouvrir les culs-de-basse-fosse au fond desquels croupissaient les opposants. A l’extérieur des frontières syriennes ensuite, le terrorisme islamiste ayant régulièrement semé la mort et la terreur.
Même si l’histoire de cette chute n’a pas encore été écrite, les insurgés qui ont renversé Bachar Al-Assad ne sont pas arrivés à Damas sur les épaules de mentors intéressés. Leur responsabilité est immense, surtout envers un peuple longtemps tenu à distance des décisions qui le concernaient, mais ils peuvent se prévaloir d’une légitimité que personne, à ce stade, n’est en mesure de leur contester.
Il faut donc espérer que les Syriens libérés par eux-mêmes se montrent à la hauteur de la tâche herculéenne qui les attend. Leurs voisins immédiats, même s’ils n’ont pas brillé par leur clairvoyance à leur égard, auront également un rôle à jouer. Les pays occidentaux, qui auraient pu abréger les souffrances syriennes mais dont les sanctions ont joué dans la chute de Bachar al-Assad, devront également être attentifs à la réussite d’une reconstruction qui permettrait le retour volontaire de centaines de milliers de Syriens désireux d’y prendre toute leur part. Pour la première fois depuis longtemps, une frêle lueur d’espoir est apparue dans le Bilad Al-Cham.