Boum. Et encore boum, tellement plus fort. Il est 13 heures, dimanche 1er septembre, des enfants dévorent leur barbe à papa ou sautent sur le trampoline réservé chaque week-end pour eux dans le grand marché couvert de Kharkiv, Barabashovo. Une sirène trouve à peine le temps de hurler que deux énormes explosions réveillent d’un coup allées, enseignes, vendeuses et flâneurs. Tout le monde se jette dans les escaliers du métro, à l’entrée du marché, le temps de comprendre que les frappes ont tapé juste un peu plus loin.
Deux missiles balistiques viennent de tomber, non sur le marché, mais sur la galerie commerciale Chudho, à une station de métro, prenant par surprise les familles venues faire leurs courses dans ce mall ouvert jusqu’à 23 heures, sept jours sur sept. « Ici, quand tu entends la sirène, le missile est déjà tombé », c’est la blague, pleine d’humour noir, des Kharkiviens. Et c’est vrai : la deuxième ville d’Ukraine n’est qu’à 25 km de la frontière et à 70 km de la cité russe de Belgorod, d’où, dimanche, sont partis les tirs, et les alertes ne servent pas à grand-chose.
Six autres des huit missiles tirés par l’ennemi ont détruit, dimanche, le Palais des sports de Kharkiv, dans un autre quartier, Nemyshlianskyi, plus central. Et, à chaque fois, les mêmes récits des voisins ou des rescapés : un souffle si puissant qu’il vous « soulève », les appartements qui se mettent à « tanguer »… Devant le supermarché Chudho, les vitres en verre de la station de métro Akademika-Pavlova ont volé en éclats, et même la petite épicerie installée dans un couloir a été abîmée. Sur des mètres et des mètres alentour, le sol est couvert de tessons et de bouts de missiles et, sur l’un des côtés du Palais des sports, de bogues de châtaigniers soufflés par le blast.
C’était quelque chose, pour la ville, le Palais des sports de Kharkiv. Un complexe de 4 000 places orné de fresques brutalistes, avec dedans une patinoire pour le hockey, un terrain de basket, des salles de combat et de mise en forme, quelques commerces comme un salon de coiffure et, dehors, sur une esplanade, un immense mur d’escalade. Dans l’herbe tout autour gisent, décrochées et pulvérisées par l’explosion, les prises qui servaient à grimper.
Technique russe
« Le Palais servait aussi, depuis un an, de centre de distribution de produits alimentaires », explique, dans son marcel siglé Nike, un certain Evgeni, ancien policier et enfant du quartier. Un habitué, aussi, des entraînements d’haltères du Palais, témoignent ses biceps. « Il accueille les fêtes de Noël des enfants et depuis longtemps des concerts », poursuit-il. « Vite », il nous emmène, en slalomant entre les camionnettes de secours, de l’autre côté du bâtiment, dévasté jusqu’au pied d’une statue. C’est Vladimir Vissotski, le fameux chanteur moscovite, le mari de l’actrice Marina Vlady. « Il était venu chanter ici à la fin des années 1970, on lui a bâti un monument », se souvient Evgueni. Coulés dans le bronze, le musicien et sa guitare ont, eux, résisté à l’explosion du 1er septembre.
Il vous reste 54.75% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.