Jeff Bezos tente de justifier la neutralité du « Washington Post » dans l’élection présidentielle américaine

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Le siège du journal « Le Washington Post », à Washington, le 21 février 2019.

Le fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, a démenti lundi 29 octobre que ses intérêts personnels aient été à l’origine de l’absence de soutien d’un candidat à la présidentielle américaine par le Washington Post, journal dont il est le propriétaire depuis 2013, défendant ainsi une « décision de principe ».

La décision a « été prise entièrement en interne », écrit Jeff Bezos dans une tribune publiée par le WaPo, affirmant « ne pas pousser » en faveur de ses intérêts personnels en ce qui concerne les décisions du journal. « Vous pouvez voir ma fortune et mes intérêts commerciaux comme un rempart contre l’intimidation, ou vous pouvez les voir comme une toile de conflits d’intérêts », explique le milliardaire.

« Je vous assure que mes opinions sont ici, en réalité, des positions de principe, et je crois que mon bilan en tant que propriétaire du Post depuis 2013 soutient cette idée », ajoute-t-il.

Les appels à voter émis par les comités éditoriaux de journaux, qui rassemblent leurs éditorialistes, sont coutumiers dans le paysage médiatique aux Etats-Unis. Mais pour Jeff Bezos, une telle pratique « crée en réalité une perception de parti pris, de non-indépendance ». Y mettre fin « est une décision de principe », écrit-il, « et c’est la bonne décision ».

Changement de cap

Le principal quotidien de la capitale américaine – célèbre pour avoir révélé le scandale du Watergate – avait annoncé vendredi par la voix de son directeur général, William Lewis, qu’il ne soutiendrait aucun candidat à l’élection présidentielle du 5 novembre et qu’il s’abstiendrait aussi d’appeler à voter pour un ou une candidate lors des scrutins futurs. Le Washington Post avait apporté son soutien aux candidats démocrates à la présidentielle en 2008, 2012, 2016 et 2020.

Les entreprises de Jeff Bezos ont signé ces dernières années de gros contrats avec le gouvernement américain, et notamment avec le Pentagone, dans le domaine du stockage de données (cloud). L’annonce a suscité de nombreuses réactions, pour la plupart indignées, et selon la radio publique NPR, le WaPo avait perdu entre vendredi et lundi quelque 200 000 de ses abonnés, soit 8 % de son total.

Du côté du Los Angeles Times, qui a pris la même décision, également sous l’influence d’un propriétaire milliardaire, un article du quotidien lui-même annonçait hier « plusieurs milliers » de désabonnements, dans un journal confronté déjà à une situation financière difficile.

« Obéissance par anticipation »

Dans le sillage de la décision du WaPo, deux de ses chroniqueurs ont démissionné et trois des neuf membres du comité éditorial ont quitté leur poste. L’ancien rédacteur en chef Martin Baron, qui était en poste lorsque M. Bezos a acheté le journal, a dénoncé la décision sur les réseaux sociaux en la qualifiant de « lâcheté, avec la démocratie comme victime ».

Le non-choix du Washington Post et du LA Times a été très commenté aux Etats-Unis, où la presse a jusqu’ici massivement soutenu les adversaires de Donald Trump lorsqu’il s’est présenté à une élection présidentielle. Sans apporter de preuve d’une implication directe des propriétaires de ces publications dans le choix de ne pas trancher en faveur d’un candidat, certains commentateurs ont invoqué un phénomène « d’obéissance par anticipation » (anticipatory obedience).

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Comme l’explique l’économiste Michel Santi dans La Tribune« l’historien Timothy Snyder, dans son ouvrage On Tyranny, avait théorisé ce phénomène où les citoyens, anticipant et se conformant à un régime sans même y être contraints, facilitent et renforcent son pouvoir. En effet, c’est lorsque des individus ou des groupes adoptent volontairement – et de manière proactive – des comportements conformes aux attentes (ou aux attentes supposées) de ceux qui détiennent le pouvoir, avant même que des ordres ou que des instructions n’aient été données, que l’on identifie cette obéissance anticipatrice ».

L’historien a lui-même estimé, auprès du Guardian, que la décision de ces milliardaires de ne soutenir aucun candidat grâce à leur publication pouvait être qualifiée ainsi. « Ce qu’ils disent, c’est : quand la démocratie mourra dans l’obscurité, ils seront de ceux qui dansent gaiement dans l’ombre », a-t-il prévenu.

Le Monde avec AFP

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