Pour Israël, les accusations de génocide portées à son encontre par l’Afrique du Sud devant la plus haute juridiction de l’Organisation des nations unies (ONU) sont « totalement dénaturées » et ne reflètent pas la réalité du conflit dans la bande de Gaza. L’Afrique du Sud a « malheureusement présenté à la Cour [internationale de justice, CIJ] un tableau factuel et juridique totalement dénaturé », a déclaré Tal Becker, l’un des principaux avocats d’Israël devant la CIJ, qui siège à La Haye. « L’intégralité de son argumentation repose sur une description délibérément organisée, décontextualisée et manipulatrice de la réalité des hostilités actuelles », a-t-il ajouté.
L’Afrique du Sud a saisi en urgence, en décembre, la CIJ, arguant qu’Israël enfreignait la convention des Nations unies sur le génocide, signée en 1948 à la suite de la Shoah. Pretoria souhaite que les juges enjoignent à Israël d’arrêter « immédiatement » la campagne militaire menée à Gaza après l’attaque du Hamas sur le sol israélien le 7 octobre 2023, qui a fait quelque 1 140 morts, selon un décompte de l’Agence France-Presse (AFP) à partir du bilan israélien. En représailles, Israël a juré d’« anéantir » le Hamas, au pouvoir à Gaza, et lancé une offensive dans ce territoire palestinien qui a fait au moins 23 469 morts, selon le dernier bilan du ministère de la santé du Hamas.
Devant la CIJ, Israël a toutefois affirmé « ne pas chercher à détruire » le peuple palestinien à Gaza. « Ce qu’Israël cherche en opérant à Gaza n’est pas de détruire un peuple mais de protéger un peuple, le sien, attaqué sur de multiples fronts », a encore dit M. Becker. Israël et les Etats-Unis ont rejeté l’affaire devant la CIJ comme étant sans fondement. « Non, l’Afrique du Sud, ce n’est pas nous qui sommes venus perpétrer un génocide, c’est le Hamas », avait déclaré le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, en amont des audiences.
Des allégations « infondées », juge Washington
« Nous poursuivrons notre guerre défensive, dont la justice et la moralité sont sans égales », avait-il ajouté. « En fait, ce sont ceux qui attaquent violemment Israël qui continuent d’appeler ouvertement à l’anéantissement d’Israël et au massacre des Juifs », a affirmé le porte-parole du département d’Etat américain, Matthew Miller.
Mais Washington a également pris ses distances avec certaines des critiques israéliennes. Interrogé sur l’accusation d’Israël selon laquelle l’Afrique du Sud servirait de « bras juridique » au Hamas, un autre porte-parole du département d’Etat, Vedant Patel, a déclaré aux journalistes que « ce n’[était] pas un terme qu[’il] emploierai[t] s’agissant de [leurs] partenaires sud-africains ». « Mais encore une fois, nous continuons à penser très fermement que les allégations selon lesquelles Israël commet un génocide sont infondées », a déclaré M. Patel.
S’agissant d’une procédure d’urgence, la CIJ pourrait se prononcer d’ici à quelques semaines. Ses décisions sont sans appel et juridiquement contraignantes, mais elle n’a aucun pouvoir pour les faire appliquer. Par exemple, elle a ordonné à la Russie de suspendre son invasion de l’Ukraine. En revanche, la cour ne se prononcera pas encore sur le fond de l’affaire – Israël commet-il effectivement un génocide ? –, mais seulement sur la question de savoir si les droits fondamentaux des habitants de Gaza sont actuellement menacés.
Israël a « franchi la ligne », estime Pretoria
L’Afrique du Sud peut poursuivre Israël devant la CIJ puisque les deux pays ont signé la convention sur le génocide. Le ministre de la justice sud-africain, Ronald Lamola, a déclaré jeudi devant les magistrats qu’Israël avait « franchi la ligne » et enfreignait la convention, ce que même la brutalité de l’attaque du Hamas ne peut justifier. « Les génocides ne sont jamais déclarés à l’avance », a affirmé Adila Hassim, une avocate de l’Afrique du Sud. « Mais ce tribunal bénéficie des treize dernières semaines de preuves qui montrent de manière incontestable un modèle de comportement et d’intention qui justifient une allégation plausible d’actes génocidaires », a-t-elle ajouté.
Le Congrès national africain (ANC), au pouvoir en Afrique du Sud, soutient depuis longtemps la cause palestinienne. L’ancien président sud-africain et héros de la lutte anti-apartheid Nelson Mandela avait ainsi affirmé que la liberté de l’Afrique du Sud serait « incomplète » sans celle des Palestiniens.
La justice internationale est, elle aussi, en jeu dans cette affaire, a déclaré jeudi devant la CIJ une autre avocate de Pretoria, Blinne Ni Ghralaigh : « Certains pourraient dire que la réputation même du droit international, sa capacité et sa volonté de lier et de protéger tous les peuples de manière égale, est en jeu. ». Mais selon Israël, la requête de Pretoria devant la CIJ est « l’une des plus grandes démonstrations d’hypocrisie de l’histoire ».