
Deux ans après l’ouvrage collectif Que sait-on du travail ? (Presses de Sciences Po, 2023), en partenariat avec Le Monde, plusieurs chercheurs ont publié Travailler mieux (La Vie des idées-PUF, 112 pages, 18 euros), en collaboration avec Le Monde, qui avance des pistes concrètes pour améliorer la qualité de l’emploi. Pour Christine Erhel et Bruno Palier, qui ont dirigé ces travaux, la France doit rompre avec un management trop vertical, afin de redonner du sens et du bien-être au travail.
Les Français se disent attachés à leur travail, mais beaucoup le vivent comme difficile, voire insoutenable. Comment expliquer ce paradoxe ?
Bruno Palier : Il s’explique par un grand écart. Il y a chez les Français, vis-à-vis du travail, à la fois plus d’attentes et plus de difficultés que dans les pays comparables. Le résultat, ce n’est pas une « grande démission », comme celle que l’on a connue aux Etats-Unis ces dernières années, mais une « grande déception ».
Les gens ne quittent pas leur emploi, mais ils n’y trouvent pas leur place. Ils ne se sentent ni écoutés ni reconnus. Cela se traduit par un malaise, le sentiment d’une perte de sens. La faible écoute dans le travail est un enjeu important, dont on sous-estime la portée politique. Si on ne les écoute pas dans leur entreprise, les gens vont sur les ronds-points. Si on ne les écoute pas sur les ronds-points, ils finissent par voter pour l’extrême droite. Il y a un lien direct entre le sentiment d’être exclu dans son travail et le vote pour le Rassemblement national. Le mauvais management a un coût social élevé.
Cette faible qualité du travail est-elle une spécificité française ?
B. P. : Tous les indicateurs l’attestent. Pour commencer, on compte beaucoup plus d’arrêts pour maladie professionnelle. Et 750 morts par an au travail, soit, proportionnellement à la population en activité, deux fois plus que la moyenne européenne.
Christine Erhel : Par rapport à des pays qui ont le même niveau de richesse, comme l’Allemagne, les Pays-Bas, les pays nordiques, l’insatisfaction au travail est importante en France et les travailleurs y font état de difficultés supérieures. Ce constat d’une moindre qualité de travail ne repose pas seulement sur des perceptions. Il est bien documenté. Il ressort, par exemple, de l’enquête européenne sur les conditions de travail, qui collecte des informations sur la pénibilité, les postures, les horaires, la qualité de l’écoute, etc.
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