
Que le conflit israélo-palestinien, déchirant et interminable, déclenche les passions en France n’est pas nouveau. Non seulement parce que le pays réunit les plus grandes communautés juive et arabe d’Europe, mais parce que ses responsables politiques ont toujours cherché à exercer une influence au Proche-Orient et que nombre de ses intellectuels possèdent des compétences sur le sujet. Mais deux ans après les massacres terroristes du 7 octobre 2023 perpétrés par le Hamas en Israël, alors que plus de 69 000 personnes ont été tuées dans les bombardements israéliens à Gaza, le niveau de crispation et d’incompréhension a atteint un niveau alarmant. Tout se passe comme si le débat public atteignait un point d’incandescence qui le rend impossible.
Deux événements, parmi d’autres, illustrent cette situation. La déprogrammation, le 9 novembre, après intervention du ministre de l’enseignement supérieur, de deux journées d’étude sur « La Palestine et l’Europe » prévues au Collège de France les 13 et 14 novembre et finalement organisées dans les locaux exigus du Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris, l’un de ses organisateurs. Les heurts qui se sont produits le 6 novembre, lors d’un concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël à la Philharmonie de Paris, après que des militants propalestiniens ont interrompu le spectacle et brandi des fumigènes, appartiennent à un tout autre registre. Mais ils illustrent des dérives elles aussi problématiques.
Principe démocratique fondamental, la liberté académique, certes limitée par la nécessaire recherche d’une vérité scientifique mais non par une exigence de neutralité, doit être défendue. Dans le cas du colloque du Collège de France, le ministre chargé de la défendre l’a entravée, au point de compromettre une institution prestigieuse. En intervenant dans un débat entre universitaires reconnus, il a créé un grave précédent. Discuter, voire contester l’orientation ouvertement propalestinienne de ce colloque et son financement par le Qatar fait partie de l’exercice de la liberté académique, certainement pas faire pression sur ses organisateurs.
Risque d’une confusion
Quant aux perturbateurs de la Philarmonie, ils tendent à considérer les artistes ressortissants d’un pays aux dirigeants contestés, mis en cause par la justice internationale, comme autant de responsables de la politique de ces derniers. Au risque d’une confusion, voire d’effets contre-productifs. Sans parler de leur focalisation sur Israël, alors que d’autres gouvernements critiquables pourraient être visés.
Ces dérives compromettent l’indispensable débat sur la tragédie du Proche-Orient. Elles peuvent sans doute être rapprochées de la difficulté, pour les citoyens honnêtement inquiets, voire révoltés, de manifester en sécurité et sans craindre de voisinages non désirés. La tentation d’une criminalisation, par le gouvernement, de la participation aux défilés dénonçant la passivité de la France et de l’Union européenne devant l’hécatombe à Gaza, d’un côté, leur instrumentalisation par La France insoumise, de l’autre, engendrent une frustration qui peut nourrir les actes individuels et les incidents récents.
Un mois après l’annonce d’un fragile cessez-le-feu sur le terrain qui, à ce stade, n’annonce aucune perspective claire, il serait temps que le débat sur le Proche-Orient gagne en sérénité. Plutôt que de tomber dans le piège des instrumentalisations, la priorité est de progresser dans la connaissance et le respect des subjectivités, des sentiments et des convictions de chacun.



















