Gloires et doutes du congé paternité

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Arnold Schwarzenegger, cauchemardant sa future « maternité », dans « Junior » (1994), une comédie d’Ivan Reitman.

Nous sommes en mars, le soir tombe, et c’est mon deuxième jour de travail depuis la fin de mon congé paternité. Ma collègue Camille me lance cette provocation sur un ton sarcastique : « Tu te prends pour un héros, on t’a glorifié ? » Nous rions.

J’ai alors pensé à Junior (1994), chef-d’œuvre incompris d’Ivan Reitman, dans lequel Arnold Schwarzenegger mène sur lui-même une expérience le faisant tomber « enceint ». Cette comédie joue à confronter un homme – pas n’importe lequel, on parle de celui qui fut, entre autres, Mister Univers à cinq reprises – aux douleurs physiques et sociétales de la maternité. Evidemment, comme c’est Arnold et qu’il fait une chose littéralement extraordinaire, on ne peut s’empêcher de le prendre, lui, pour un héros.

J’avoue : pendant mon congé paternité, moi aussi je me sentais l’étoffe d’un héros. La loi, mon employeur et un calcul savant dans le logiciel de gestion des congés payés m’avaient permis de prendre en tout quatre-vingt-dix-sept jours. Soit quatre-vingt-quatorze jours de plus que mon père, et… quatre-vingt-dix-sept jours de plus que mon grand-père. Et, en moyenne, cinquante-sept de plus que les pères français, qui ont pris vingt jours de congé paternité en 2022, selon la direction de la Sécurité sociale. La plupart de mes collègues trouvaient mon choix formidable.

Raphaël aussi se rappelle de collègues qui lui ont dit : « Ah, tu fais partie de ces pères-là, c’est bien ! » Cet ancien salarié de 42 ans, devenu graphiste indépendant et père de deux enfants (dont l’aîné est né avant l’entrée en vigueur du nouveau congé paternité), se considère comme « chanceux ». Il a pris deux mois en tout. « J’avais besoin d’être là tout de suite », assure-t-il.

« Travail reproductif »

Ma fille, appelons-la Junior, comme dans le film, est née après le 1er juillet 2021, date à laquelle le nouveau congé paternité, d’une durée de vingt-cinq jours calendaires plus trois jours obligatoires, est entré en vigueur. Ce congé était auparavant d’une durée de onze jours, depuis 2002. Avant ces onze jours, le congé, longtemps appelé « congé de solidarité familiale », en durait trois, imposés en 1980, date à laquelle a d’ailleurs été fixé le congé maternité actuel, soit seize semaines.

De la naissance de Junior, en décembre 2022, jusqu’à la mi-mars 2023, nous étions, avec sa mère, D., dans cette bulle intemporelle soufflée par la Caisse d’allocations familiales et le droit du travail. Cette bulle, que l’administration qualifie de « congé » (maternité, paternité ou parental), n’a cependant rien d’un moment de repos. Pour Hélène Périvier, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques et spécialiste des politiques sociales, familiales et des inégalités entre les sexes, cette période répond à la définition de « travail reproductif » (par opposition au travail « productif »), qu’elle assimile à du travail domestique au sens large (faire le ménage, la cuisine, la lessive…). Elle évoque d’ailleurs une étude de l’Insee, réalisée en 2010, qui évalue la valeur de ce travail à « 17 % du PIB ».

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