Professeur de sciences de gestion et directeur adjoint de l’institut d’administration des entreprises (IAE) de Brest, Lionel Honoré a lancé, en 2013, l’Observatoire du fait religieux en entreprise. Son manuel Manager la religion au travail, publié chez Dunod, en 2023, fait la synthèse de la connaissance sur le sujet, des bonnes et des mauvaises pratiques en entreprise. Il est finaliste du prix Penser le travail 2024.
Dans votre ouvrage, vous indiquez que deux entreprises sur trois sont concernées régulièrement ou occasionnellement par les questions de religion au travail, en 2023, contre une sur quatre, en 2013. Mais qu’est-ce qu’un fait religieux, et lesquels reviennent le plus souvent ?
Lionel Honoré : Un fait religieux est une situation de travail où il y a des comportements et des faits qui ont une dimension religieuse, avec un impact sur la situation de travail. Le plus fréquent, c’est le port d’un vêtement, de signes religieux, les demandes d’aménagement du temps de travail pour pratiquer un rite. Plus rarement, on observe des comportements misogynes des salariés, des prières pendant le temps professionnel, ou le refus de réaliser une tâche. Le regard projeté par d’autres salariés sur les salariés pratiquants, ou leur stigmatisation, est aussi un fait religieux.
Quelles sont les raisons de cette progression ? Quels sont les profils les plus concernés ?
Depuis les attentats de 2015, il y a un regard plus négatif sur la religion. Cela s’explique aussi par l’affirmation de la part des salariés de leur identité religieuse, plus évidente qu’il y a dix ans. C’est davantage considéré comme un droit, et cela correspond au cadre juridique puisque la liberté religieuse est garantie dans le privé si elle n’est pas limitée par un règlement intérieur.
Les secteurs les plus concernés sont les grandes métropoles, avec 50 % des cas en Ile-de-France. On les retrouve plus fréquemment dans les grandes entreprises, dans la gestion de l’environnement, la grande distribution, le nettoyage, la logistique, le transport et la sécurité. Le fait religieux est à la fois masculin et féminin, mais les plus problématiques sont l’objet d’hommes. Chez les hommes jeunes et peu qualifiés, il y a davantage une logique de fait religieux collectif.
Les directions, les manageurs mais aussi les salariés maîtrisent-ils le sujet de la religion au travail ?
Ce sont des situations de mieux en mieux abordées. Les entreprises s’outillent de plus en plus, informent les salariés. Les manageurs sont moins surpris et cela ouvre plus d’espace pour des logiques d’accommodement raisonnable. Mais seules les entreprises les plus concernées prennent le sujet à bras-le-corps, pour éteindre le feu ou réparer. C’est un sujet de terrain qui a du mal à remonter, car les manageurs de proximité ont peur de faire remonter des situations épineuses aux ressources humaines.
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