En Ukraine, les soldats face aux pièges des applications de rencontre

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Ihor Fesik, 33 ans, soldat dans la 59ᵉ brigade, sur une base militaire, dans la région de Vinnytsia, en Ukraine, le 8 février 2024.

Ses quelques jours de permission s’annoncent prometteurs. En ce matin de février, à Vinnytsia, dans le centre de l’Ukraine, Ihor Fesik, 33 ans, a déjà réussi à caler un rendez-vous avec l’une des femmes avec lesquelles il échange sur une application de rencontre lorsqu’il est au front. Il fait partie de la 59e brigade, dont les hommes sont considérés comme des héros après avoir défendu Mykolaïv, Kherson et Avdiïvka. Sur ses profils Tinder et Badoo, ses deux sites de prédilection, Ihor a affiché son meilleur selfie : muscles bandés, casquette à l’envers et sourire enjôleur sous sa barbe rousse et ses yeux bleus. Accroché à la ceinture de son treillis, figure un scratch « Donneur d’orgasmes ».

Avant l’invasion russe, en février 2022, Ihor Fesik fréquentait déjà les sites de rencontre. Quand l’offensive à grande échelle a commencé, cet ancien musicien, qui travaillait comme voix off dans des publicités, a rejoint l’armée en tant que volontaire et arrêté tous ses échanges. Pendant un an et demi, il n’y a même plus pensé. « Je n’avais pas le temps, et le choc était trop grand », se souvient-il. Et puis, la guerre s’éternisant, il a fini par y retourner. « J’avais besoin de parler avec des femmes – il n’y en a aucune dans mon unité. C’est une façon de me distraire. Et je me sens moins seul. »

Comme lui, de nombreux militaires fréquentent les sites de rencontre lorsqu’ils sont en mission. Après deux ans de combats, loin de chez eux, la solitude pèse sur une partie de ces hommes, souvent plus avides de discuter, de se changer les idées et d’avoir un soutien moral que de bâtir une histoire.

Des écussons sur la trousse militaire d’Ihor Fesik, 33 ans, soldat dans la 59ᵉ brigade. A droite, son profil sur une application de rencontre, dans la région de Vinnytsia, en Ukraine, le 8 février 2024.

Mais, en temps de guerre, les applications de rencontre se révèlent parfois dangereuses pour les militaires, susceptibles d’être instrumentalisés par l’ennemi pour fournir des informations sensibles. Consciente du danger, l’armée ukrainienne met ses troupes en garde. « On sait que la Russie utilise tous les moyens, y compris ces applications, pour recueillir des données, explique Natalya Humenyuk, porte-parole du commandement militaire du sud du pays. On fait très attention à ce problème et on communique constamment là-dessus dans les brigades. »

« Où es-tu ? Que fais-tu ? »

L’Ukraine est d’autant plus prudente qu’elle a recours à la même méthode, selon les confidences d’un responsable militaire chargé de recruter dans la marine à Odessa. « Nos gars utilisent ces applications pour écrire aux militaires russes et trouver leur localisation, affirme Volodymyr (il ne souhaite pas donner son nom de famille), 48 ans. Mais on sait que, de l’autre côté, ils ne sont pas bêtes et que leurs commandants leur disent de faire attention. »

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