En Ukraine, le douloureux retour des prisonniers de Russie

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Les familles avaient été prévenues, comme à chaque échange de prisonniers de guerre avec la Russie : « Vous ne reconnaîtrez sans doute pas votre mari ou votre fils. Cachez votre surprise. Ou du moins, essayez. » Souvent blessés, victimes de tortures systématiques, ayant perdu jusqu’à la moitié de leur poids, ce sont des ombres qui leur reviennent après des mois de captivité. Le 3 janvier, 230 Ukrainiens ont été rapatriés contre 248 Russes, l’échange le plus important, en nombre, depuis le début de l’invasion.

« Chaque négociation est unique, secrète. Tous les leviers sont utilisés et je peux juste vous dire que ça n’a jamais rien d’un “gentleman agreement” [accord informel]. Mais cette fois, la situation était vraiment extrême », explique Petro Yatsenko, porte-parole de la coordination ukrainienne pour le traitement des prisonniers de guerre. Alors que des échanges avaient lieu chaque mois en moyenne, le processus était bloqué depuis le 7 août 2023, un délai si long que Kiev a dû construire un deuxième centre de détention militaire, faute de rotation.

L’échec de la contre-offensive ukrainienne, cet été, n’a sans doute pas aidé le pays à accélérer les négociations. « Les pourparlers sont tout à fait différents quand on perd », lâche sans détour Iryna Bogdanova, une responsable des échanges à l’état-major ukrainien. Dans cette guerre hybride, manipulations et coups tordus sont aussi de la partie.

Un rassemblement pour la libération de prisonniers de guerre ukrainiens, dans le centre-ville de Kiev, le 7 janvier 2024.

Selon Kiev, Moscou a fait traîner les tractations pour tenter de fracturer la société ukrainienne, jouant sur l’exaspération des familles de prisonniers. Depuis des mois, celles-ci recevaient des appels téléphoniques de leurs proches, détenus en Russie, ânonnant tous le même message, visiblement sous la contrainte : « Allez manifester partout contre le pouvoir, c’est lui qui refuse de nous aider. »

Dossier tenu secret

A Moscou, en revanche, rien ne presse. L’écrasante majorité de ses militaires capturés sont aujourd’hui ceux qu’elle envoie mourir en première ligne : des condamnés de droit commun recrutés contre la promesse d’une grâce, ou des pères de famille surendettés, appâtés par un salaire de soldat. « Pour le Kremlin, ces gens-là ne comptent pas », reprend Petro Yatsenko, de la coordination. Lui aime à se souvenir du « cas Viktor Medvedtchouk », un oligarque ukrainien prorusse, proche du président Vladimir Poutine, arrêté pour haute trahison en avril 2022 et échangé contre 151 militaires ukrainiens à lui tout seul, le 22 septembre 2022.

Il y a les combattants tchétchènes aussi : « Le jackpot quand on en attrape un car on sait que Grozny rachète des prisonniers ukrainiens à Moscou pour échanger les siens au plus vite », continue Petro Yatsenko. En revanche, un commandant russe, qui s’était fait embarquer avec dix de ses hommes lors de la libération de Kherson en novembre 2022, a été rayé de la liste des échanges par Moscou : quand il se fait prendre, un gradé devient un « traître », comme au temps de l’Union soviétique.

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