« Nous arrivons donc désormais à la fin… Nous remercions tous les auditeurs et toutes les personnes qui nous ont soutenus. Açik Radyo restera ouverte à toutes les voix, à toutes les couleurs et à tous les frémissements de l’univers », concluait Ömer Madra, 79 ans, au micro d’Açik Radyo (« radio ouverte » ou « libre »), mercredi 16 octobre. C’est avec émotion que le fondateur de la station a achevé sa dernière émission, après vingt-neuf années d’antenne, en direct des modestes studios installés dans une impasse du quartier de Tophane, à Beyoglu, au cœur d’Istanbul.
L’équipe de cette station indépendante, dont la ligne éditoriale engagée, progressiste et multiculturelle en faisait une vitrine du melting-pot stambouliote, avait été sanctionnée, le 22 mai, d’une amende et d’une interdiction d’émettre de cinq jours par le Conseil supérieur de la radio-télévision turc (RTÜK). L’équipe d’Açik Radyo était, depuis, dans l’attente des dates de suspension d’antenne. Or, ces précisions n’ont pu être reçues à cause d’un « problème technique » du système de messagerie de la RTÜK, précise l’équipe de la radio dans un communiqué. Faute d’application effective des cinq jours de suspension d’antenne, le RTÜK a estimé que la radio avait commis une infraction supplémentaire à ses directives, justifiant ainsi l’annulation de la licence de diffusion de la station, qui émettait depuis 1995.
La sanction faisait suite à une matinale diffusée le 24 avril, date anniversaire du début de la déportation massive des Arméniens de 1915 sous l’Empire ottoman. « Cette année marque le 109e anniversaire des déportations et des massacres, qualifiés par certains de “génocide”, qui se sont déroulés en terres ottomanes. Comme vous le savez, la commémoration du génocide arménien a également été interdite cette année », avait expliqué à l’antenne Cengiz Aktar, intellectuel connu pour ses prises de position sur la question.
Liberté d’expression réduite à peau de chagrin
Le RTÜK avait estimé que l’usage des termes « génocide arménien » était une « incitation à la haine », en référence à l’article 216 du code pénal turc. Bien que l’atmosphère politique ait permis de relancer les débats universitaires sur la nature des événements de 1915 au début des années 2010, les espaces où s’exerce la liberté d’expression ont été réduits à peau de chagrin avec la montée de l’autoritarisme qui a suivi la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016.
« La question de l’interprétation des événements de 1915 et la qualification de “génocide” a toujours fait l’objet de polémique en Turquie, mais depuis la mort de Hrant Dink [journaliste turc d’origine arménienne assassiné en 2007], cela faisait partie des débats et cela rentre dans le cadre de la liberté d’expression », rappelle Ilksen Mavituna, 38 ans, coordinateur de programme à Açik Radyo et membre de l’équipe depuis vingt ans.
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