S’il n’était pas étrangement désert, le kibboutz de Beeri (Israël) pourrait sembler tout à fait normal – du moins à première vue. D’abord, une place ombragée, un théâtre, et le réfectoire géant de ce village communautaire, situé dans le nord-ouest du Néguev. Plus loin, des maisons bien entretenues, des arbres splendides, toute une végétation sur laquelle un printemps précoce a déjà mis des fleurs.
Et puis, soudain, le chaos. En quelques mètres, une rue à peine, le visiteur bascule dans un cauchemar gris et noir, couleur de cendre et de suie. Ici et là, seuls des tessons de céramique luisent faiblement dans un paysage concassé, fait de toitures éventrées, de poutrelles tordues, de tuiles brisées. Les intérieurs sont si calcinés que l’on reconnaît difficilement le contour des objets. Il faut plisser les yeux pour deviner que cette chose recroquevillée, au plafond d’une chambre, était autrefois un ventilateur. Ou distinguer, sous ce monceau d’assiettes brisées, un lave-vaisselle à la porte arrachée. Partout, le temps s’est figé, laissant le long des rues des reliques renversées, des vélos d’enfants, des paniers de basket ou des fauteuils de jardin.
Devant ces décombres, on a suspendu les photos des morts et des otages qui vivaient là, dans ce que les rescapés décrivent unanimement comme un « paradis ». Un éden aux portes de l’enfer, certes – Gaza, sous blocus depuis 2007, se trouve à moins de quatre kilomètres –, mais, à force, les 1 200 habitants avaient intégré ce paradoxe. Grâce au Dôme de fer, le système israélien de protection aérienne, jamais aucune roquette en provenance du territoire palestinien n’était tombée sur les maisons ni n’avait blessé quiconque. A l’appel des sirènes, chacun se rendait dans son abri aux fenêtres blindées, souvent transformé en atelier de couture ou en chambre d’enfant. Dans la plupart des cas, ces pièces ne contenaient aucune provision, pas une bouteille d’eau, encore moins d’armes, et pas même de verrou. Aujourd’hui encore, la plupart des explosions sur Gaza ne font sursauter personne, comme s’il s’agissait d’un simple bruit de fond.
Le matin du 7 octobre 2023, pourtant, la mort n’est pas venue du ciel et les abris se sont souvent transformés en pièges. A l’aube de ce jour de shabbat, qui était aussi celui du 77e anniversaire du kibboutz, c’est en empruntant des chemins de terre que les assaillants se sont engouffrés dans les jardins bien tenus, jusqu’aux demeures où les familles se rassemblaient pour la fête juive de Simhat Torah. Par centaines, des combattants du Hamas ont franchi toutes les clôtures barbelées, celles de Gaza et celles des localités les plus proches, pour incendier, piller, tuer des civils et des militaires saisis au saut du lit.
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